À contre-courant des craintes exprimées en Europe, Christian Parisot, économiste et fondateur d’Altaïr Economics, défend l’idée que les mesures économiques annoncées par Donald Trump – fiscales, réglementaires, monétaires – pourraient transformer 2026 en point d’inflexion haussier sur la Bourse U.S..
Optimisme américain vs scepticisme mondial
Vincent Bezault : Avant d’envisager si 2026 pourrait être une excellente année pour les marchés américains, j’aimerais commencer par un graphique. Il s’agit d’un sondage mené par S&P Global auprès des gérants : perçoivent-ils une croissance aux États-Unis ? Les résultats montrent un solde toujours positif, mais avec une tendance baissière. Ce qui frappe, c’est que les investisseurs nord-américains deviennent plus optimistes, tandis que ceux du reste du monde se montrent plus pessimistes. Qui a tort ?

Christian Parisot : C’est bien là toute la question. On observe une véritable divergence. En Europe, la perception est sombre : les incertitudes provoquées par Donald Trump—qu’il s’agisse de sa politique commerciale agressive, de ses tensions avec l’OTAN ou de son style imprévisible—alimentent une vision très négative. Beaucoup redoutent un affaiblissement de la visibilité économique américaine. À l’inverse, les investisseurs américains considèrent que Trump reste pro-business, qu’il recule face aux risques économiques, et qu’il soutient la croissance intérieure via des mesures fortes : dérégulation, politique budgétaire expansionniste, pression sur la Fed et un dollar affaibli. Pour eux, le tableau est bien moins noir.
Des mesures fiscales taillées pour relancer l’investissement
Vincent Bezault : Entrons dans le détail. Une composante essentielle est bien sûr la réforme fiscale. En quoi celle-ci est-elle significative ?
Christian Parisot : Cette réforme se traduit certes par une explosion du déficit budgétaire, mais elle s’inscrit dans la continuité de la politique expansionniste entamée sous Biden. Elle repose sur deux volets : d’une part, la pérennisation des baisses d’impôts pour les ménages, évitant une hausse moyenne de 20 % de l’impôt sur le revenu. Ce n’est pas un moteur de croissance, mais cela évite un choc négatif sur la consommation.
D’autre part, et c’est plus important, le dispositif vise les entreprises. Plutôt qu’une baisse du taux d’imposition, l’administration Trump mise sur un amortissement accéléré des investissements productifs. Cela réduit le coût du capital, incite à l’investissement et bénéficie particulièrement aux secteurs à rotation rapide, comme les technologies et l’intelligence artificielle. Ce mécanisme devrait stimuler fortement l’investissement en 2026.
Fiscalité, IA et cercle vertueux de l’investissement
Vincent Bezault : Ce mécanisme crée-t-il un effet d’entraînement pour l’économie américaine ?
Christian Parisot : Absolument. Il encourage les entreprises à se montrer plus offensives technologiquement. Investir dans l’IA devient un passage obligé, et si l’on peut en plus bénéficier d’un avantage fiscal, la décision est vite prise. Cela va se traduire par des gains de productivité à venir. Même si le climat conjoncturel est incertain, cette mesure constitue un véritable moteur de croissance pour 2026.
Dérégulation : vers un environnement plus favorable à l’activité
Vincent Bezault : Autre volet : la dérégulation. Vous évoquiez des exemples concrets, comme la suppression de contraintes environnementales dans l’immobilier.
Christian Parisot : Oui, l’objectif est clair : stimuler l’activité en allégeant les contraintes. Par exemple, aux États-Unis, on a levé certaines restrictions sur la construction de logements, même dans des zones de stress hydrique. Le foncier baisse, la construction redémarre, même si le problème écologique reste entier. De même, l’extraction de pétrole est favorisée dans des zones protégées. Qu’on adhère ou non à cette logique, cela réduit les coûts et accélère les projets.
La dérégulation touche aussi le secteur bancaire, et c’est là que les effets peuvent être majeurs.
Dérégulation bancaire : un levier de croissance pour 2026
Vincent Bezault : Justement, vous mentionniez une réforme bancaire structurante. En quoi consiste-t-elle ?
Christian Parisot : La réforme du ratio de levier bancaire change la donne. Ce ratio, qui mesurait les fonds propres face aux engagements des banques sans pondération de risque, limitait fortement leur capacité d’action. En relevant ce seuil, les banques peuvent désormais augmenter la taille de leur bilan de 43 % à capital constant. Cela signifie plus de crédits, plus d’achats d’obligations d’État ou d’actions. Ce levier va clairement stimuler les marchés et la rentabilité des banques, et même faciliter le financement du déficit public via l’achat de Treasuries.
Un risque de surchauffe… mais une croissance réelle
Vincent Bezault : En clair, entre la réforme fiscale, les incitations à l’investissement et l’assouplissement bancaire, l’économie américaine est en passe d’être mise sous stéroïdes. Cela pourrait-il générer une surchauffe ?
Christian Parisot : C’est effectivement le principal risque macroéconomique : une économie trop stimulée peut entraîner une relance de l’inflation, des tensions sur le marché du travail et des hausses de salaires non maîtrisées. Cela dit, ces effets n’apparaîtront pas immédiatement. Le premier semestre 2026 devrait bénéficier de cette relance. Les réformes bancaires, par exemple, ne seront effectives qu’en fin d’année 2025. Mais dès le début 2026, l’effet cumulatif de ces mesures soutiendra clairement la croissance américaine.
Une politique inégalitaire et des effets sociaux à surveiller
Vincent Bezault : Il y a malgré tout des points de fragilité dans ce programme, notamment sociaux.
Christian Parisot : Oui, la politique budgétaire américaine est très inégalitaire. Par exemple, les droits de douane frappent plus durement les ménages modestes, qui consomment davantage de produits importés. Les coupes dans les budgets publics, notamment la santé (Medicare) ou les aides alimentaires, pénalisent également les classes les plus fragiles. Cela peut peser sur la consommation, mais aussi sur certains secteurs comme la santé, qui a été un fort créateur d’emplois depuis la pandémie. Des acteurs comme Walmart, très dépendants des bons alimentaires, pourraient aussi en pâtir.
Deux lectures opposées d’un même programme
Vincent Bezault : Malgré ces déséquilibres, peut-on comprendre l’optimisme des investisseurs américains pour 2026 ?
Christian Parisot : Oui. Beaucoup se disent que les incertitudes commerciales finiront par se résorber, que les accords avec la Chine, l’Europe ou d’autres zones seront renégociés. Et que derrière, il restera un plan massif de relance, une déréglementation bancaire, une politique budgétaire proactive, et peut-être une banque centrale plus conciliante. On peut donc construire un scénario optimiste pour 2026, surtout si l’on met de côté la volatilité de court terme. En revanche, les investisseurs non-résidents, plus sensibles à l’impact des décisions américaines sur l’économie mondiale, restent nettement plus prudents.
Dollar faible, droits de douane et compétitivité
Vincent Bezault : Parlons justement des droits de douane. Couplés à un dollar faible, ne constituent-ils pas un avantage compétitif pour les entreprises américaines ?
Christian Parisot : Clairement, les droits de douane protègent le producteur local, notamment dans des secteurs comme l’acier. Mais cela se fait au prix d’un renchérissement des coûts pour les autres entreprises américaines qui utilisent cet acier. Le risque, c’est une hausse des prix, donc une inflation importée localement.
Cela dit, les accords commerciaux négociés par Trump visent à ouvrir de nouveaux marchés aux exportateurs américains. Donc pour l’économie nationale, cela peut être favorable, notamment en matière d’emplois et de hausses de salaires. Le maillon faible, en revanche, c’est cette tendance inflationniste. C’est là que se situe la limite du modèle : trop de protectionnisme, trop de relance, et la hausse des prix devient incontrôlable.
Une Fed sous influence ?
Vincent Bezault : Justement, Donald Trump semble vouloir reprendre la main sur la politique monétaire. Est-ce crédible ?
Christian Parisot : Il le laisse entendre très clairement. Il souhaite nommer un nouveau président de la Réserve fédérale, probablement dès octobre. Il veut une Fed plus conciliante, et critique la politique de Jerome Powell. Trump ne parle pas directement d’inflation, mais affirme vouloir des taux à 1 %, ce qui faciliterait le financement du déficit américain, surtout si l’État emprunte à court terme.
De plus, en parallèle de la dérégulation bancaire, des initiatives comme la loi Genius pourraient encourager des acteurs comme Walmart à créer leur propre stablecoin, adossé à des Treasuries, renforçant la demande pour la dette publique américaine. Cela participe à une stratégie cohérente : une Fed accommodante, un État dépensier, des taux bas, et une croissance soutenue.
Une ligne de crête entre croissance et perte de crédibilité
Vincent Bezault : Mais une Fed trop soumise ne risque-t-elle pas de perdre sa crédibilité ? Et donc de provoquer une hausse des taux longs ?
Christian Parisot : Exactement. Si les marchés pensent que la Fed ne lutte plus contre l’inflation, ils exigeront une prime de risque, les taux longs grimperont, et cela pèsera sur le dollar. C’est le scénario du pire.
À l’inverse, une Fed souple peut être un atout pour la Bourse. Les taux courts bas, combinés à une relance budgétaire, favorisent la croissance et la valorisation des actions. Mais cela suppose un équilibre délicat. Il faudra observer qui Trump nomme à la tête de la Fed, et voir si le board reste suffisamment indépendant. Les Fed régionales, par exemple, peuvent s’opposer à une ligne trop laxiste. En attendant, le discours du président pèsera fortement sur les anticipations du marché.
Dette publique U.S. : un équilibre instable
Vincent Bezault : Parlons maintenant de la dette publique américaine. Sa croissance rapide ne risque-t-elle pas de faire dérailler ce scénario de croissance ?
Christian Parisot : Il faut surveiller un indicateur central : le ratio service de la dette / recettes publiques. Moody’s, par exemple, estime qu’en 2037, 30 % des recettes budgétaires seront absorbées par le service de la dette. À ce niveau, il ne reste plus de marges de manœuvre pour financer l’éducation, les infrastructures ou d’autres priorités économiques.
Certes, l’administration Trump avance un scénario de courbe en J : on baisse les impôts, mais la croissance augmente, élargit la base taxable, et donc les recettes rebondissent à terme. C’est séduisant en théorie. Mais historiquement, cela n’a jamais fonctionné. On assiste plutôt à un creusement durable du déficit sans rebond significatif des recettes.
Plus le taux de taxation est bas, moins l’État bénéficie de l’effet mécanique de la croissance. À l’inverse, en France par exemple, avec une fiscalité plus élevée, toute accélération du PIB fait remonter fortement les recettes. Aux États-Unis, le pari est donc risqué : si le marché obligataire se retourne, si les taux longs montent trop, ce sont ces mêmes politiques de relance qui seront brutalement stoppées.
Trump bashing ou réalisme boursier ?
Vincent Bezault : Mais à vous écouter, on comprend aussi pourquoi les marchés ne s’effondrent pas, malgré les incertitudes liées à Trump.
Christian Parisot : Tout à fait. Il y a une forme de résilience des actions américaines. Les marchés savent que Trump est pro-business, qu’il adapte son discours et ses mesures aux réactions du marché. Même si on craint une guerre commerciale avec la Chine, un blocage sur les terres rares ou un coup de chaud sur l’inflation, on garde à l’esprit qu’en contrepartie, il y a des mesures favorables : dérégulation, relance budgétaire, soutien à la croissance.
Je ne crois pas à un scénario de krach boursier. Certes, le marché est cher, la prime de risque est faible, mais l’idée d’un effondrement généralisé ne tient pas compte de tous les facteurs de soutien à Wall Street. On fait souvent du Trump bashing, à raison parfois, mais il faut aussi reconnaître les effets positifs de ses politiques sur les actifs financiers américains.
Banques et tech : les deux secteurs gagnants de la Bourse en 2026 ?
Vincent Bezault : 2026 pourrait donc être une année faste. Quelles seraient les thématiques d’investissement à privilégier ? Les banques ? La tech ?
Christian Parisot : Oui, mais avec des nuances. Le secteur bancaire devrait bénéficier de la réforme réglementaire, mais attention au timing. Les hedge funds ont déjà joué ce thème, et risquent de prendre leurs bénéfices. Il pourrait donc y avoir de la volatilité à court terme. Mais sur 2026, c’est une thématique intéressante, surtout si les valorisations se détendent.
En parallèle, le secteur technologique est clairement favorisé. Grâce à la réforme fiscale, l’amortissement accéléré des investissements dans les équipements technologiques est un levier puissant. Cela va doper l’innovation, et les entreprises vont profiter de cette fenêtre fiscale pour investir massivement. À court terme, les valeurs tech restent sensibles aux taux longs, mais si ces taux restent contenus, c’est une classe d’actifs qui peut surperformer.
Quid des petites capitalisations américaines ?
Vincent Bezault : Faut-il également s’intéresser aux petites et moyennes capitalisations américaines ?
Christian Parisot : Cela dépendra surtout du signal de la Fed. Ces valeurs sont très sensibles à la politique monétaire et au marché immobilier. Or, beaucoup de ces entreprises sont liées directement ou indirectement à l’immobilier domestique.
Mais le budget américain est plutôt favorable aux petites entreprises. Si la Fed baisse ses taux, et que le dollar se stabilise ou se renforce un peu avec la croissance, les mid et small caps pourraient tirer leur épingle du jeu. Aujourd’hui, c’est sans doute encore un peu tôt pour revenir massivement dessus. Mais fin 2025 ou début 2026, ce pourrait être un pari payant pour jouer la croissance domestique américaine.
La synthèse de Vincent
Christian Parisot estime que l’administration Trump met en place un arsenal de mesures susceptibles de stimuler fortement l’activité économique américaine dès 2026. La déréglementation bancaire devrait jouer un rôle clé, en permettant aux banques de prêter davantage et d’être plus présentes sur les marchés financiers, notamment actions. Un environnement bien plus actif pour le secteur financier.
Côté entreprises, le retour de la déduction fiscale immédiate des investissements représente un puissant incitatif à moderniser les outils de production. Un véritable coup d’accélérateur à l’investissement, assimilé à une mise sous stéroïdes de l’appareil productif.
Ces moteurs de croissance pourraient toutefois être partiellement contrebalancés par des mesures plus défavorables pour les ménages les plus fragiles, notamment les coupes dans les dépenses de santé, qui viendraient peser sur leur niveau de vie et leur capacité à consommer.
Mais globalement, la force des soutiens attendus semble l’emporter, surtout si la politique monétaire se montre accommodante. Or, Donald Trump exerce déjà une pression explicite sur la Fed pour obtenir des taux plus bas, critiquant ouvertement la politique menée par Jerome Powell.
Dans ce contexte, les actions américaines apparaissent incontournables, et 2026 pourrait bien démarrer sur des bases très solides pour les marchés boursiers. La technologie, portée par l’investissement, semble bien positionnée pour tirer son épingle du jeu. Les grands groupes tournés vers l’international pourraient aussi bénéficier d’un affaiblissement du dollar.
Quant aux banques, leur potentiel reste intact mais un peu joué par anticipation. Il faudra peut-être attendre une consolidation ou quelques dégagements – notamment de la part des hedge funds – pour identifier de bons points d’entrée.
Enfin, les small caps américaines ne sont pas à exclure, à condition que la Réserve fédérale engage un assouplissement monétaire plus marqué, seul véritable catalyseur pour relancer leur dynamique.
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