Il est courant de penser que la corruption, au sens d’un dévoiement moral, ne se manifeste que face à des offres irrésistibles, au point d’éclipser toute hésitation à y céder. Pourtant, la réalité est bien différente : même des influences subtiles, presque anodines, peuvent suffire à altérer profondément notre perception des choses et de nous-mêmes.
C’est ce que révèle l’expérience de Paul Piff, psychologue américain et professeur assistant à l’Université de Californie à Irvine. En utilisant un simple jeu, sans enjeu matériel, il a mis en lumière une vérité troublante : nous adaptons notre comportement en fonction des avantages ou désavantages perçus, au point de justifier ces changements pour apaiser nos tensions internes. Une altération des perceptions qui, bien qu’insidieuse, peut avoir des conséquences durables sur nos attitudes, nos choix et notre rapport aux autres.
L’expérience qui révèle comment notre véritable nature peut facilement être corrompue
En 2010, le psychologue Paul Piff a mené une expérience fascinante autour d’un jeu universel, très apprécié par les enfants comme par les adultes : le Monopoly.
Le but de l’expérience ? Comprendre si un avantage économique, quelle que soit la manière dont il est acquis, pouvait transformer le comportement des individus. Dit autrement, l’expérience devait permettre de mesurer si les individus peuvent corrompre leur nature, dévier de leurs comportements habituels, dans un contexte donné.
Inutile de vous faire bouillir d’impatience… la réponse est bien évidemment, oui, mais le plus intéressant va bien au-delà. En plus de constater que les sujets de l’expérience acceptent assez facilement de percevoir des avantages immérités, Paul Piff se rend compte que ces sujets réinterprètent les événements afin de justifier ces avantages et de les rendre dignes de leur personne.
Et ça, ça change tout.
Paul Piff divise les participants en deux groupes :
Les “riches”, proclamés comme tels dès le départ, et avantagés en conséquence : deux fois plus d’argent initial et des revenus supérieurs à chaque passage par la case “Départ”.
Les “pauvres”, proclamés comme tels dès le départ également, seront désavantagés à chaque étape : un capital de départ réduit et des gains moindres.
Ce groupe est constitué sans le moindre critère de sélection. Les riches et les pauvres ne souffrent donc d’aucune forme de discrimination, ni positive, ni négative. Il s’agit d’une attribution de facto organisée par Paul Piff et son équipe.
Face à de telles différences de revenus entre les deux types de joueurs, tout semblait joué d’avance.
L’expérience permit d’observer quelque chose de tout à fait singulier : les attitudes des joueurs ont drastiquement évolué à partir des avantages qui leur ont été attribués.
Les joueurs riches devenaient arrogants, agressifs, et justifiaient leurs succès par leur propre mérite, oubliant leurs avantages initiaux.
Les joueurs pauvres, à l’inverse, manifestaient davantage d’empathie et justifiaient leur statut par les règles du jeu, non par leurs compétences.
Évidemment, cette attitude est d’autant plus troublante qu’il ne s’agissait que d’un jeu, avec de faux billets ! Pourtant, cette simple simulation a suffi à démontrer que l’environnement peut corrompre notre comportement, en influençant nos choix et nos perceptions.
Et le plus surprenant, c’est que ces nouvelles attitudes seront rationalisées a posteriori. C’est une pratique courante de notre cerveau afin de conserver une forme d’équilibre.
Lorsqu’un individu agit en contradiction avec ses propres cognitions initiales, il se retrouve dans un état psychologique inconfortable, voire douloureux. Il doit alors trouver une parade pour que ces actions redeviennent confortables. Soit changer pour épouser ces nouvelles valeurs, soit renoncer à l’action en question.
Ainsi, les joueurs riches s’auto-persuadent du mérite de leur statut simplement pour rééquilibrer leur état psychologique initial. Et à la fin, cette attitude se transformera en vérité pour eux. De même, les joueurs pauvres, conscients que les désavantages qui leur sont attribués au départ sont trop importants, acceptaient tristement leur sort en se laissant convaincre que les choses étaient ainsi. Face à une telle désillusion, l’empathie avait tout d’une forme d’échappatoire mentale.
Quand ce biais influence vos investissements…
Lorsque vous accumulez quelques succès (ou subissez quelques pertes), vos perceptions changent. Des phénomènes d’euphorie collective, comme c’est le cas lors des bulles financières, peuvent galvaniser les investisseurs qui étaient positionnés en amont de l’envolée des prix. À l’inverse, une chute brutale des marchés pourrait vous faire croire, à tort, que vous aviez faux sur toute la ligne.
Croire que vos gains sont uniquement dus à vos compétences, alors qu’ils résultent souvent de conditions favorables.
Prendre des décisions risquées, persuadé que la chance est de votre côté.
Vous replier sur vous-même face à des échecs, en craignant de refaire un mauvais choix.
Ces biais comportementaux ne sont pas seulement anecdotiques : ils coûtent cher. Ils peuvent vous pousser à prendre de mauvaises décisions ou vous empêcher de saisir des opportunités.
Comment contrer ce phénomène de perversion de nos attitudes ?
Une étude de 2011 menée par Anik, Aknin, Dunn et Norton a montré que la source de la richesse influence fortement notre comportement.
Les gains obtenus par le travail, l’effort et la discipline semblent préserver votre sens moral et éthique, d’une part, ce qui est toujours appréciable, mais aussi et surtout vos capacités d’analyse, de prise de recul et de pragmatisme. Ceux qui travaillent pour fabriquer leur propre richesse, à travers le monde du travail ou par le biais de l’investissement financier, sont plus enclins à prendre des décisions réfléchies. L’effort, sous toutes ses formes, préserve l’équilibre mental et conduit à optimiser la qualité de ses décisions.
Dans le monde des investissements, cette “richesse par l’effort” se traduit par une maîtrise de soi, de ses biais cognitifs et une vision stratégique basée sur l’apprentissage et l’analyse rationnelle.
On ne le répètera jamais assez : se maîtriser et maîtriser ses émotions, c’est maîtriser ses investissements.
Et maîtriser ses investissements, c’est s’appuyer sur des fondamentaux solides et des analyses rigoureuses.