Bayer : toujours compliqué, toujours sulfureux ?

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En octobre 2024, nous avions reçu Laurent Lamagnère pour un entretien exclusif réservé à nos membres dédié à l’entreprise Bayer qui s’intitulait “Bayer : compliqué, sulfureux, mais…”. En presque 8 mois, force est de constater que le titre a été quelque peu chahuté. 

D’abord une baisse notable qui a trouvé son point bas quelques jours avant Noël 2024, puis une remontée nette qui s’est stoppée peu avant la Liberation Day du 2 avril. Et depuis la mise en pause des majorations de taxe douanière imposées par Donald Trump, Bayer AG profite, elle aussi, du rebond.
 
Mais, outre cette opportunité déjà saisie par les investisseurs depuis le 9 avril – jour de l’annonce d’un sursis de ces taxes douanières – une question de fond demeure : Bayer est-il un titre à garder à l’œil ? Quels sont les points d’attention sur ce titre ?
 
Place au SWOT.

Forces

Position dominante en glyphosate : Bayer est le principal producteur occidental de glyphosate, représentant environ 40 % de la production mondiale. Cette position lui confère un levier stratégique sur une molécule clé – certes controversée et dont l’usage tend à diminuer –, mais qui demeure aujourd’hui incontournable pour de nombreux agriculteurs.
Portefeuille diversifié : une présence dans trois secteurs clés — santé grand public, pharmaceutique, et agro-chimie — permet une certaine résilience cyclique.
Leadership renouvelé : l’arrivée de Bill Anderson (ex-Roche) en avril 2023 a introduit le modèle “Dynamic Shared Ownership” (Propriété partagée dynamique), un modèle de gouvernance innovant renforçant la décentralisation décisionnelle.
Dividende élevé attendu pour 2026 : rendement sur dividende projeté à 8,70 %, attractif pour les investisseurs à long terme.
Capacité d’autofinancement avant litiges : Bayer continue de générer un free cash flow (flux de trésorerie disponible) solidehors règlements juridiques.

Faiblesses

Poids écrasant du passif : endettement brut autour de 40 milliards d’euros ; ratio dette nette/EBITDA de 4,5x prévu en 2025.
Impact Monsanto/Glyphosate : plus de 67 000 dossiers non réglés en 2024, avec une hausse de 13 000 cas supplémentaires cette année et un flux continu attendu jusqu’en 2037 si rien n’est fait.
Performance boursière décevante : Depuis la mise en place du nouveau modèle en novembre 2023, le cours de l’action a chuté, malgré des espoirs initiaux importants.
Approbation minoritaire à la recapitalisation : seulement 42 % des actionnaires ont validé l’augmentation de capital (jusqu’à 344 millions d’actions, soit 7 Md€), ce qui reflète un manque de confiance manifeste.
Transition difficile du portefeuille pharma : déclin du médicament Xarelto, marges sous pression pour les traitements Nubeqa et Kerendia, coûts de lancement élevés pour les produits pharmaceutiques Beyontta et Elinzanetant, sans retour sur investissement avant 2028.

Opportunités

Décision favorable attendue de la Cour Suprême US : en cas de succès, cette révision juridique pourrait stopper net les poursuites glyphosate en cours et futures.
Lobbying actif aux États-Unis : le PDG engage une diplomatie d’influence pour obtenir des amendements législatifs dans certains États américains non alignés sur les normes de l’EPA (Agence américaine de protection de l’environnement).
Potentiel de redressement post-litiges : une valorisation SOTP (Sum of the Parts – Somme des parties) suggère un potentiel de hausse de 153 % si les litiges se résolvent avec succès, y compris les 7 Md€ issus de l’augmentation de capital.
Objectifs d’économies significatives : plan de réduction de coûts de 2 Md€ par an d’ici 2027, en complément d’une politique de dividende minimum pour 2023-2026 (6 Md€ d’économies).
Croissance continue de la division Consumer Health, qui reste la seule performante actuellement.

Menaces

Risque de déclassement de la notation crédit : les agences de notation s’inquiètent de la soutenabilité de la dette ; une baisse de la note accroîtrait les coûts de refinancement.
Compétition accrue dans le segment pharmaceutique : pression concurrentielle sur Eylea (forme 4mg), avec un impact direct sur la rentabilité.
Pressions réglementaires : cas litigieux concernant le Dicamba ou Movento, exposition croissante aux régulations environnementales.
Empreinte carbone élevée : Bayer est l’émetteur de CO₂ le plus important parmi ses pairs (notamment face à Merck Allemagne), en raison de son exposition au secteur chimique.
Marché moins réceptif aux produits glyphosate : après un pic en 2022, les prix se sont normalisés, impactant ventes et marges.
Contexte géopolitique volatil : Bayer, très exposé au marché américain, reste vulnérable aux tensions entre l’UE, les États-Unis et la Chine (notamment car les autres 60 % de la production mondiale de glyphosate sont chinois).

Bayer évolue dans un contexte délicat, toujours marqué par l’héritage du dossier glyphosate, avec 67 000 cas en cours et une pression juridique qui pourrait durer jusqu’en 2037. Ce passif pèse lourdement sur la valorisation et fragilise la structure financière du groupe, dont l’endettement reste élevé. L’augmentation de capital récemment proposée n’a reçu qu’un soutien partiel des actionnaires, révélant un climat de défiance persistant.
 
Malgré ces tensions, Bayer conserve des atouts. La division Consumer Health affiche une bonne dynamique, des économies substantielles sont prévues et un rendement sur dividende élevé est projeté dès 2026. Par ailleurs, la mise en œuvre du modèle « Dynamic Shared Ownership » vise à restaurer l’agilité opérationnelle.
 
Un retournement positif reste envisageable, mais dépend fortement de la résolution des litiges et de la capacité de l’entreprise à restaurer durablement la confiance des investisseurs. Bref, une valeur à ne pas mettre en toutes les mains, faite pour les audacieux, pas trop sensibles aux problèmes d’image de la société, qui ont de surcroît du temps devant eux et sont insensibles à la volatilité.

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