
IKEA n’est pas juste le géant suédois du mobilier que tout le monde connaît. C’est aussi le nom attribué à un effet psychologique très particulier qui doit nous faire prendre conscience que, derrière chaque entrepreneur, se cache un risque émotionnel très fort auquel l’investisseur, lui, est moins soumis.
Découvrons ensemble comment l’effet IKEA peut menacer votre succès en tant qu’entrepreneur, et comment, à l’inverse, il met en lumière que la réussite d’un investisseur est théoriquement plus vérifiable.
En 2011, Michael I. Norton, Daniel Mochon et Dan Ariely ont étudié les mécanismes cognitifs liant la valeur que nous accordons à une chose au travail effectué pour l’obtenir. Leur objectif était de déterminer le rapport que des individus établissaient entre le travail qu’ils fournissaient et la valeur associée aux fruits de leur labeur.
Dit autrement, la question derrière cette étude pourrait se poser ainsi : quelle valeur associons-nous à un travail dans lequel nous nous sommes réellement investis ?
Si vous supposez que la valeur que nous accordons au fruit de notre propre travail est très grande, vous supposez fort bien ! En effet, les chercheurs ont constaté que nous attribuons une plus grande valeur à quelque chose que nous avons nous-même assemblé. Cette action de faire soi-même doit s’entendre dans son acception la plus large : réaliser une action personnelle pour parvenir à un résultat satisfaisant ou exécuter une tâche professionnelle dans laquelle nous nous investissons profondément.
C’est ainsi que, naturellement, une association d’idées s’est faite avec l’entreprise suédoise IKEA, qui a tout misé sur l’appropriation par le client d’un travail qui, jusque-là, ne lui incombait pas, afin qu’il se satisfasse de son produit avant tout parce qu’il l’a lui-même assemblé.
Comme IKEA propose du mobilier à monter soi-même — un mobilier pour lequel nous investissons du temps, de l’énergie et parfois de la réflexion —, le nom de ce biais psychologique était tout trouvé.
Mais pourquoi ce biais doit-il nous alerter en tant qu’entrepreneur, et quel lien peut-on faire avec le comportement d’un investisseur ?
C’est très simple.
D’un côté, un entrepreneur, par son énergie, son travail et son acharnement, consacre toute son attention à transformer son idée en un produit, dans le but d’en tirer les meilleurs résultats. Il bricole lui-même son plan de vie, pour filer la métaphore d’IKEA et de ses meubles à monter chez soi.
Ainsi, un entrepreneur peut manquer de lucidité et attribuer une très grande valeur à son produit, non pas parce que ses clients lui en ont confirmé l’intérêt, mais parce qu’il s’est émotionnellement investi dans sa création.
Il peut donc sortir inconsciemment de la rationalité.
À l’opposé, un investisseur ne se lie pas émotionnellement aux entreprises dans lesquelles il investit, bien que cela puisse arriver. Son approche est avant tout guidée par une objectivation, un pragmatisme froid consistant simplement à observer des indicateurs, des analyses et des chiffres, pour déterminer si le jeu de l’achat ou de la vente en vaut la chandelle. C’est impartial, mathématique, et motivé par le gain financier, non par l’ego de la réussite ou du succès, comme cela peut être le cas pour un entrepreneur.
Le triste exemple de Yahoo
En raison d’un ancrage émotionnel fort, un entrepreneur réagit à l’égard de sa société à travers un prisme intime. Il surestime son produit ou son service, sous-estime la concurrence et prend parfois de haut les innovations concurrentes.
C’est ce qui est arrivé à Yahoo dans les années 2000. L’entreprise américaine était alors leader de son marché.
Durant cette période éphémère, qui sera par la suite baptisée la bulle des dotcoms, Yahoo a eu l’opportunité de racheter une très jeune start-up nommée… Google, pour à peine 100 millions de dollars. Cela semble difficile à concevoir aujourd’hui tant le succès de Google fut par la suite phénoménal. Pourtant, à l’époque, Yahoo jouissait d’une assise incontestable qui aurait dû lui permettre de devenir le fleuron de la tech américaine et internationale.
Yahoo n’a finalement pas donné suite à cette offre. L’entreprise voyait Google comme une tentative technologique peu pertinente, non viable, et dont le modèle semblait clairement inférieur au service déployé par Yahoo.
Ce fut leur première erreur.
Quelques années plus tard, Microsoft proposa de racheter Yahoo pour près de 45 milliards de dollars. Une somme exceptionnelle pour l’époque, car les valorisations des dotcoms étaient très loin d’égaler celle des GAFAM d’aujourd’hui. Mais Yahoo refusa. Le groupe pensait mériter un chèque plus important, l’effet IKEA étant une fois encore à l’œuvre. Il est toujours difficile d’accepter qu’un produit façonné de ses propres mains ait une valeur inférieure aux yeux d’autrui que celle qu’on lui accorde soi-même.
Finalement, en 2016, bien après l’éclatement de la bulle des dotcoms et l’émergence des GAFAM comme grands gagnants, Verizon, une importante société de télécommunications américaine, racheta Yahoo pour seulement 1,1 milliard de dollars… soit presque 45 fois moins que l’offre proposée par Microsoft dix ans plus tôt.
Pour qu’un entrepreneur s’assure de son succès, il faut qu’il structure son produit ou son service pour répondre aux besoins de ses clients, et non pour satisfaire son ego au regard de la valeur qu’il perçoit lui-même de son produit. Sa seule autre solution est de vendre sa société au plus offrant. Or, en ne faisant ni l’un ni l’autre, le risque de voir la valeur réelle s’éroder lentement, mais sûrement est important.
Parce qu’un investisseur cherche avant tout à faire de bonnes affaires, l’effet IKEA ne représente pas une menace immédiate pour lui : acheter au plus bas et vendre au plus haut pour générer un profit étant son leitmotiv principal.
C’est ce qui fait de lui un véritable gagnant sur le long terme.
Et c’est pourquoi, à travers le monde, les entreprises financières sont généralement les mieux positionnées dans les divers classements. En 2020, selon Fortune Global 500, plus de 20 % des entreprises parmi les 50 premières en termes de chiffre d’affaires sont issues des domaines de la finance. Aucun autre secteur ne ressort de la sorte dans cette hiérarchie. Ce n’est pas un hasard.