La réaction récente des marchés obligataires souligne un regain d’inquiétude autour des dettes souveraines en Europe, en particulier sur la France. L’écartement des spreads entre les taux français et allemands a jeté une lumière crue sur les fragilités budgétaires françaises. Pourtant, comme l’explique l’analyse réalisée par Synapses, avec le concours de Christian Parisot, président d’Altaïr Economics, si le risque est réel, il demeure encore sous contrôle, à condition que des mesures adaptées soient prises rapidement.
La semaine suivant les élections européennes a vu une augmentation notable du spread entre les taux longs français et allemands, signe d’une prime de risque croissante exigée par les investisseurs pour détenir de la dette française. Pourtant, cette tension, bien que significative, reste modérée par rapport aux précédentes crises souveraines. À titre de comparaison, les spreads espagnols avaient grimpé jusqu’à 600 points de base au plus fort de la crise de la zone euro, bien au-delà des 80 points observés récemment pour la France.
Toutefois, ce mouvement témoigne d’une sensibilité accrue des marchés aux dynamiques budgétaires françaises. Avec une dette publique équivalente à 120 % du PIB et un déficit primaire persistant, la France est vulnérable à une hausse brutale des taux d’intérêt. En effet, une augmentation marquée des coûts d’emprunt pourrait rapidement alourdir la charge de la dette, restreignant davantage les marges budgétaires.
Un point crucial de fragilité pour la dette française réside dans sa forte dépendance aux investisseurs étrangers. Près de 47 % de la dette française est détenue par des non-résidents, bien au-dessus des niveaux observés en Italie (27 %). Cette exposition internationale, bien qu’elle offre une liquidité importante, rend la France vulnérable à un désengagement rapide des investisseurs en cas de perte de crédibilité budgétaire.
Cette dépendance est d’autant plus problématique que la Banque centrale européenne (BCE) réduit progressivement ses achats d’obligations dans le cadre de la normalisation de sa politique monétaire. À partir de juillet, la Banque de France ne renouvellera plus les obligations arrivant à maturité, augmentant ainsi la pression sur les investisseurs privés pour financer les besoins croissants de la France.
Pour l’instant, la charge d’intérêt de la dette française reste contenue, à 1,6 % du PIB. Cela s’explique par des taux historiquement bas, voire négatifs, sur une partie des emprunts passés. Ce niveau est largement inférieur à celui des États-Unis (4,4 %) ou de l’Italie (3,9 %). Cependant, la situation pourrait rapidement se détériorer en cas de hausse durable des taux d’intérêt.
Le déficit primaire, qui représente le solde budgétaire avant paiement des intérêts de la dette, illustre l’ampleur du défi. En 2024, la France devrait enregistrer un déficit primaire de -3,6 %, ce qui signifie que même hors charge de la dette, les recettes fiscales ne suffisent pas à couvrir les dépenses publiques. Cela rend tout défaut de paiement inconcevable, sous peine de bloquer le fonctionnement de l’État.
Face à une éventuelle crise, la BCE pourrait-elle jouer à nouveau son rôle de prêteur en dernier ressort ? Bien que des outils comme l’OMT (Outright Monetary Transactions) existent, leur utilisation est conditionnée à des réformes budgétaires strictes, souvent impopulaires. Par ailleurs, la priorité actuelle de la BCE reste la lutte contre l’inflation, ce qui limite sa marge de manœuvre pour soutenir directement les dettes souveraines.
En cas de crise majeure, la France pourrait être contrainte de mettre en œuvre des mesures d’austérité budgétaire sévères, telles que des réductions dans les dépenses sociales ou de nouvelles réformes des retraites. Ces mesures, bien que nécessaires pour restaurer la confiance des marchés, risqueraient d’alourdir la pression sur les ménages et de susciter un mécontentement social accru.
Dans ce contexte, les investisseurs doivent adapter leurs stratégies. Les secteurs les plus exposés à la volatilité des taux longs, tels que la construction, l’automobile ou les banques, pourraient être particulièrement affectés. À l’inverse, il est essentiel de privilégier des valeurs de qualité, disposant de bilans solides et moins sensibles aux variations des coûts de financement.
La diversification géographique reste également une solution pour réduire le risque. S’exposer à des actifs libellés en devises résilientes, comme le franc suisse ou les couronnes scandinaves, peut offrir une protection face à la volatilité accrue des marchés européens.
Si les tensions actuelles sur la dette française ne constituent pas encore une crise, elles mettent en lumière la fragilité des finances publiques et la dépendance accrue aux investisseurs internationaux. Les mois à venir seront cruciaux, alors que la crédibilité budgétaire de la France sera scrutée par les marchés.
Pour les investisseurs, cette période appelle à la prudence et à des choix. La volatilité devrait rester élevée, rendant indispensable une allocation d’actifs réfléchie et tournée vers des valeurs résilientes. Le spectre d’un « grand retour du risque souverain » en Europe impose de suivre de près les évolutions des taux et des spreads ainsi que les évolutions politiques et budgétaires à venir.
Pour visionner l’intégralité de cette vidéo, cliquez en haut de cet article