
Ceux d’entre vous qui ont eu la bonté de lire ma prose la semaine passée ou regardé l’entretien avec Patrick Artus (Bourse : Taco, la recette gagnante) savent que ledit TACO (Trump Always Chickens Out, c’est-à-dire Trump A les Chocottes Obligatoirement) est le plat à la mode sur les marchés actions. Un plat qui, bien qu’il perde de sa saveur au fil du temps, leur évite désormais d’avoir le palpitant qui s’emballe et des sueurs froides qui leur glacent l’échine dès que l’administration Trump s’efforce de refaire monter la température sur le front de la guerre commerciale.
Même pas peur !
Le marché actions n’a plus peur des droits de douane et désormais il n’a pas davantage peur de la récession.

Selon Polymarket les chances de récession au pays de l’Oncle Sam sont retombées à 26 % ce 9 juin. Elles ont culminé jusqu’à 66 % le 7 avril au pire de la panique ayant suivi le jour de la Libération, ainsi que le 2 mai, quand Janet Yellen a mis en garde Donald Trump contre un possible risque de liquidité provoqué par sa politique de rétorsion douanière et la récession qui en résulterait.
Depuis, le marché est rassuré et rien n’indique en effet que la récession guette aux États-Unis, d’autant que la vague de l’I.A. continue à pousser l’économie américaine, comme l’illustre ce graphique issu de la recherche d’Appolo, et selon lequel l’investissement dans les centres de données aurait ajouté un point de pourcentage à la croissance du PIB au cours du premier trimestre.

Est-ce suffisant pour justifier le retour à des valorisations aussi copieuses ? À la clôture du 6 juin, le Nasdaq affiche un PE de 27,3, le S&P 500 de 21,5. Ce n’est clairement plus l’heure des soldes.

En Europe, selon AlphaValue, les grandes capitalisations hors bancaires, minières et pétrolières se paient toujours 18,5 x 2025 et 16,5 x 2026.
Du côté des marchés obligataires, on note une certaine accalmie avec un rendement du bon du Trésor à 10 ans revenu à 4,47 % et celui à 30 ans à 4,94 %.
On pourrait avoir l’impression que rien ne s’est passé… que rien n’a changé…
Une monumentale épée de Damoclès
Et pourtant… l’équation budgétaire américaine plane au-dessus de la tête des investisseurs comme une monumentale épée de Damoclès.
J’ai insisté lors de mes deux dernières cogitations sur les effets potentiellement cataclysmiques de l’article 899, figurant dans le paquet fiscal de la commission des voies et moyens de la Chambre des représentants, modestement baptisé « The Big, Beautiful Bill ». Vous n’ignorez pas si vous lisez chaque semaine ces lignes qu’avec l’article 899 les États-Unis se dotent d’un arsenal de mesures fiscales de représailles contre les pays étrangers qu’ils poursuivent de leur vindicte.
Laissez-moi en remettre une couche. Pour ce faire, je citerai cette fois, Ludovic Saban, le directeur des investissements et chef économiste d’Allianz interviewé début juin sur Bloomberg :
“L’article 899 est pour moi exactement le sujet auquel les gens ne consacrent pas assez de temps. Tout le monde regarde le commerce, qui n’est que la partie émergée de l’iceberg, mais en dessous, il y a cette dynamique autour des contrôles des capitaux aux États-Unis, sous différentes formes. Et l’une de ces formes est en effet cette augmentation du taux d’imposition sur les entreprises étrangères opérant aux États-Unis, et plus généralement des frictions — des flux de capitaux plus instables — entre les États-Unis et le reste du monde.
Je pense donc que le marché doit prendre en compte le fait qu’il [Trump] envisage de revenir en arrière sur ce point, car cela pourrait en réalité complètement anéantir ce qu’il essaie de mettre en place avec son programme politique. Mais s’il allait de l’avant avec cette politique, je pense que cela pourrait créer un moment très inquiétant, en particulier sur le marché actions et également sur le marché obligataire.
Et cela n’est pas pris en compte aujourd’hui, car beaucoup d’investisseurs ne pensent pas que cela pourrait aboutir, sous sa forme actuelle, dans le projet de loi.”
Ludovic Saban précise que si l’article 899 était adopté en l’état, les choses tourneraient sévèrement au vinaigre : les taux longs pourraient monter de 50 points de base et “le dollar pourrait baisser encore de 5 %. Ce serait donc assez considérable.” Comptez sur les actions pour décrocher sans coup férir si cela se produisait.
Jeter des cailloux dans une maison de verre
Bien sûr, le pire n’est jamais sûr. Disons juste, que même s’il n’advient pas (ce qu’en toute honnêteté, je pense, car je ne peux me résoudre à croire que l’administration Trump soit prête à prendre le pari le plus débilement suicidaire de l’histoire), nous avons largement de quoi nous faire très peur.
Lorsque l’on habite une maison de verre, il est déraisonnable d’y lancer des cailloux. En cherchant par l’intimidation à faire rendre gorge à leurs partenaires commerciaux, les États-Unis semblent oublier la précarité dans laquelle les plonge leur besoin de financement. Voici un petit graphique amusant (sic) produit à nouveau par Appolo qui permet de prendre la mesure des fondations branlantes de l’hégémon américain.
Au cours des 12 derniers mois, environ la moitié de l’ensemble des produits obligataires émis sur le marché étaient des titres du Trésor.
