TotalEnergies : un point d’entrée à saisir ?

Alors que le titre TotalEnergies a reculé de 16 % en un an, certains investisseurs s’interrogent sur la pertinence de conserver ou d’acheter l’action. Pour Laurent Lamagnère, analyste chez AlphaValue, les fondamentaux restent solides, la stratégie énergétique du groupe cohérente, et les perspectives à moyen terme favorables.

Un recul boursier qui reflète la pression sur le pétrole

Vincent Bezault : Le titre TotalEnergies affiche un recul d’environ 16 % sur un an. Ce n’est pas rien pour une valeur que beaucoup considèrent comme un pilier de portefeuille. Qu’est-ce qui explique ce désamour récent du marché ?

Laurent Lamagnère : Ce recul, bien qu’important, s’explique assez simplement si l’on regarde les dynamiques fondamentales du secteur. TotalEnergies reste avant tout une valeur pétrolière, et à ce titre, sa performance boursière est étroitement corrélée à celle du baril de brut. Or, depuis plusieurs mois, les prix du pétrole ont fléchi, et cette baisse a été largement intégrée dans les cours des grands groupes du secteur.
La logique de marché est ici assez mécanique : si le baril baisse, les marges des producteurs s’érodent, leurs perspectives de cash-flow se réduisent, et donc les valorisations suivent. Dans le cas précis de TotalEnergies, ce repli du baril trouve son origine dans deux facteurs majeurs. Le premier est d’ordre structurel : l’OPEP a augmenté ses volumes de production, ce qui a eu pour effet de faire pression sur les prix. L’organisation des pays exportateurs a rouvert les vannes, en partie pour préserver ses parts de marché, mais aussi dans un contexte de tensions géopolitiques.

Le deuxième facteur est plus conjoncturel : les marchés anticipent un ralentissement de la croissance mondiale, ce qui pèse naturellement sur la demande de pétrole. Depuis début 2025, nous avons vu monter en puissance une guerre commerciale, avec des mesures protectionnistes de plus en plus marquées entre grands blocs économiques. Cette incertitude a refroidi les anticipations de croissance, notamment dans les pays émergents. Résultat : une pression baissière simultanée sur l’offre et la demande, ce qui explique une bonne partie de la correction du secteur, Total inclus.

Des fondamentaux toujours solides dans l’activité pétrolière

Vincent Bezault : Pourtant, au-delà de cette logique de marché, TotalEnergies reste perçu comme l’un des groupes les mieux gérés du secteur. On pourrait s’attendre à ce que cette qualité de gestion protège davantage le titre…

Laurent Lamagnère : C’est une remarque tout à fait pertinente. Effectivement, TotalEnergies bénéficie d’une réputation de solidité et d’excellence opérationnelle. Ce n’est pas un hasard si le groupe est souvent cité comme référence de gestion dans l’univers des majors pétrolières. Cela dit, même une gestion irréprochable ne peut pas complètement compenser des dynamiques sectorielles défavorables à court terme.
Cela étant dit, cette qualité de gestion se traduit par des indicateurs fondamentaux très robustes. À commencer par un élément clé : le point mort de production, c’est-à-dire le prix minimum auquel TotalEnergies peut produire du pétrole tout en restant rentable. Or, ce point mort est significativement plus bas que celui de ses concurrents. En clair, le groupe reste bénéficiaire avec un baril à un niveau que d’autres acteurs ne peuvent pas supporter. C’est un levier considérable de résistance en période de faibles prix, et un amplificateur de performance en cas de remontée du baril.

Une diversification qui interroge les marchés

Vincent Bezault : Un autre facteur semble peser : la stratégie de diversification de TotalEnergies vers les énergies renouvelables. Contrairement à certains de ses pairs, le groupe ne l’a pas remise en cause. Le marché semble pourtant sceptique…

Laurent Lamagnère : Vous avez raison. Il existe actuellement une forme de retournement d’humeur des investisseurs vis-à-vis des énergies renouvelables. On le voit chez BP, par exemple, qui a ralenti sa transition énergétique sous la pression des actionnaires. Les investisseurs privilégient aujourd’hui une rentabilité immédiate plutôt qu’un pari long terme sur la décarbonation.

TotalEnergies, à l’inverse, a maintenu le cap, avec des investissements soutenus dans le solaire, l’éolien, l’hydrogène et d’autres filières dites vertes. Cette stratégie a du sens dans une perspective de long terme, notamment pour préparer l’après-pétrole, mais à court terme, elle est moins bien valorisée par le marché. Elle est même parfois perçue comme un frein à la performance boursière, car les marges sur ces nouvelles activités restent bien inférieures à celles du pétrole et du gaz.

Cela étant, il faut garder à l’esprit que la majeure partie des résultats du groupe reste tirée de ses activités fossiles. Et sur ce segment, comme je le disais, TotalEnergies est sans doute le meilleur élève de la classe. Donc, même si les énergies renouvelables ne séduisent pas encore les marchés, la base de rentabilité reste très solide, et cela constitue une assise rassurante pour les actionnaires.

Des perspectives favorables à moyen terme sur le prix du baril

Vincent Bezault : Vous parliez d’un point mort bas qui favorise le groupe en cas de hausse du baril. À quel niveau de prix se situe-t-on actuellement, et quelles sont vos anticipations pour les années à venir ?

Laurent Lamagnère : Aujourd’hui, nous sommes autour de 68 à 69 dollars le baril. Dans nos modèles, nous avons intégré une hypothèse prudente, avec un baril autour de 60 dollars en 2026, ce qui reflète une vision conservatrice. Cela dit, de nombreux instituts — la Banque mondiale, l’AIE, le FMI — s’accordent à anticiper une reprise de la demande mondiale de pétrole à partir de 2027, notamment portée par les pays émergents, la reprise industrielle et le besoin croissant en transport et logistique.

Dans ce scénario, les prix pourraient remonter progressivement vers 75 à 80 dollars le baril, ce qui correspond aux niveaux de long terme que nous avons connus avant les chocs récents. Et dans ce cas de figure, le modèle économique de TotalEnergies devient encore plus créateur de valeur, en raison de la structure de coût très optimisée du groupe. À chaque dollar supplémentaire sur le baril, l’effet de levier est immédiat sur les cash-flows et les résultats.

TotalEnergies, un investissement rentable et diversifié

Vincent Bezault : D’un point de vue investisseur, faut-il considérer TotalEnergies uniquement comme un pari sur la remontée du pétrole, ou y a-t-il d’autres arguments en faveur du titre ?

Laurent Lamagnère : C’est une excellente question. Il serait trop réducteur de penser qu’investir dans TotalEnergies revient uniquement à miser sur une hausse des cours du pétrole. Bien sûr, comme on l’a évoqué, le groupe bénéficie d’un effet de levier très fort sur les prix du brut en raison de son point mort bas. Mais la qualité de l’investissement ne repose pas uniquement là-dessus.

TotalEnergies est avant tout un acteur intégré, avec un portefeuille d’actifs très diversifié, couvrant toute la chaîne de valeur : exploration, production, raffinage, distribution, GNL, et progressivement, énergies renouvelables. Cette diversification géographique et opérationnelle permet au groupe de lisser les risques cycliques liés à une seule zone ou une seule activité.

Mais ce qui rend aujourd’hui le titre particulièrement attractif, c’est la solidité du profil bénéficiaire. En termes de valorisation, le titre se traite autour de 8,5 fois les bénéfices, ce qui est très en deçà des niveaux historiques du secteur, et bien inférieur aux multiples observés sur d’autres marchés, notamment aux États-Unis. À cela s’ajoute un rendement du dividende de 7,5 %, ce qui est extrêmement élevé, surtout dans un contexte où les taux sans risque baissent à nouveau.

Et ce n’est pas tout : le groupe procède aussi à des rachats d’actions massifs, équivalents à 3 à 4 % de la capitalisation boursière par an. Si l’on additionne dividendes et rachats, on arrive à un taux de retour à l’actionnaire supérieur à 10 %, et cela même sans hypothèse de hausse du baril. En somme, TotalEnergies paie très bien ses actionnaires pour patienter, ce qui en fait une valeur défensive de qualité, même dans une période d’incertitude sur les matières premières.

Pourquoi il n’existe pas d’alternative réaliste au pétrole à court terme

Vincent Bezault : Vous avez affirmé dans une de vos réponses précédentes qu’il n’existait pas de réelle alternative au pétrole aujourd’hui. Ce point peut sembler controversé. Pouvez-vous expliquer pourquoi selon vous, malgré tous les efforts de transition, le pétrole reste incontournable ?

Laurent Lamagnère : Absolument. Cette affirmation peut surprendre, car l’on entend beaucoup parler de transition énergétique, de mix électrique décarboné, de neutralité carbone, etc. Mais si l’on regarde la réalité technique et économique, les alternatives sont très limitées, voire inexistantes à ce jour.

Commençons par le secteur de l’électricité. Les énergies renouvelables comme l’éolien ou le solaire sont souvent présentées comme la solution. Le problème, c’est que ce sont des énergies non pilotables : elles ne produisent que lorsque le vent souffle ou que le soleil brille. Cela impose d’avoir des capacités de secours, prêtes à fonctionner lorsque ces sources ne sont pas disponibles. Ces capacités redondantes, souvent fossiles ou nucléaires, ont un coût élevé, et complexifient la gestion du réseau.

De plus, raccorder ces installations au réseau nécessite des investissements massifs en infrastructures. Les réseaux électriques n’ont pas été conçus pour des productions décentralisées et intermittentes. Il faut donc construire de nouvelles lignes haute tension, moderniser les transformateurs, intégrer de l’intelligence logicielle pour stabiliser la fréquence… Tout cela coûte extrêmement cher.

En réalité, le coût total de production de ces énergies, si l’on inclut le stockage, la redondance et le réseau, est très largement supérieur à ce qu’on laisse entendre dans les chiffres bruts. Ce sont des coûts que les États ont jusqu’ici compensés par des subventions. Mais dans un contexte budgétaire contraint, où la dette publique est élevée partout, ces aides pourraient être réduites, voire supprimées, compromettant le modèle économique des renouvelables.

Les carburants alternatifs sont encore loin du compte

Laurent Lamagnère (suite) : Passons maintenant au secteur des transports, qui est encore plus dépendant des produits fossiles. Pour les voitures particulières, l’électrification progresse, c’est vrai. Mais pour le transport routier lourd, le maritime ou l’aérien, les alternatives sont quasiment inexistantes.
Prenons l’aviation. Les carburants de synthèse sont extrêmement chers, et leur production à grande échelle pose encore d’énormes défis technologiques et logistiques. Imaginer que le kérosène soit remplacé de manière significative dans les prochaines années est complètement irréaliste. Idem pour les cargos ou les camions longue distance, où la densité énergétique des batteries ne permet pas encore de se passer du diesel.

Même si des innovations émergent, leur maturité industrielle est encore très lointaine, et elles ne sont pas compétitives sans soutien public massif. En somme, les hydrocarbures restent incontournables, et ce pour encore de nombreuses années, en particulier dans les secteurs stratégiques comme l’aviation, le fret maritime, ou la production d’électricité pilotable.

Les incitations fiscales en question

Vincent Bezault : Vous évoquez les subventions publiques. Vous pensez qu’elles ne vont pas perdurer ?

Laurent Lamagnère : C’est une vraie question. Jusqu’à présent, la transition énergétique a été largement financée par les États, via des incitations fiscales, des crédits d’impôt, des tarifs de rachat garantis pour le renouvelable, etc. Mais nous sommes entrés dans une nouvelle phase. Les États sont très endettés, et les marges de manœuvre budgétaires sont de plus en plus limitées.

Dans ce contexte, les aides publiques à la transition pourraient être réduites, voire gelées. Et sans ces aides, beaucoup de projets deviennent économiquement non viables. C’est déjà ce qu’on observe aux États-Unis, où plusieurs projets éoliens offshore ont été annulés ou reportés. En Europe aussi, on commence à voir un ralentissement des investissements dans les renouvelables.
Or, si les aides publiques s’estompent, alors la transition énergétique va ralentir, voire s’interrompre temporairement. Cela signifie que la dépendance aux énergies fossiles va perdurer, et que les acteurs bien positionnés dans le pétrole et le gaz, comme TotalEnergies, vont conserver un rôle central dans l’approvisionnement énergétique mondial.

Le gaz naturel liquéfié, un levier stratégique pour Total

Vincent Bezault : Parlons maintenant de gaz. TotalEnergies est l’un des leaders mondiaux dans le GNL. Est-ce un autre levier de croissance pour le groupe ?

Laurent Lamagnère : Absolument. Le gaz naturel liquéfié (GNL) est l’un des atouts majeurs de TotalEnergies. Le groupe est présent sur toute la chaîne de valeur : production, liquéfaction, transport maritime, regazéification, distribution. Il dispose de contrats à long terme, de capacités logistiques propriétaires et d’une expertise reconnue mondialement.

Certes, le deuxième trimestre 2025 a été un peu moins favorable pour le GNL, avec des prix en repli et une demande légèrement contractée. Mais les perspectives restent excellentes à moyen terme. Nous anticipons une reprise du marché du GNL à l’horizon 2027-2028, tirée notamment par la demande asiatique et la reconfiguration géopolitique des flux énergétiques.

Dans ce contexte, TotalEnergies a tous les atouts pour profiter de cette croissance, avec des volumes sécurisés, des marges stables, et un profil de rentabilité élevé. Même dans un environnement un peu moins porteur, le GNL reste un contributeur significatif au cash-flow du groupe.
Voici la dernière partie de l’article, toujours dans le même style : développé, fidèle à l’interview, fluide et professionnel.

Un rendement total pour l’actionnaire parmi les plus élevés du marché

Vincent Bezault : Revenons aux chiffres. Quel est concrètement le rendement global que les actionnaires peuvent attendre de TotalEnergies aujourd’hui ?

Laurent Lamagnère : Le rendement pour l’actionnaire, chez TotalEnergies, ne se limite pas au dividende — bien qu’il soit déjà particulièrement attractif. Cette année, le dividende distribué représente un rendement de l’ordre de 7 à 7,5 %, ce qui, à lui seul, positionne Total parmi les valeurs les mieux rémunératrices du CAC 40.
Mais il faut aussi tenir compte des programmes de rachat d’actions, qui sont massifs. Pour 2025, nous estimons que 3 à 4 % de la capitalisation boursière seront rachetés et annulés, ce qui revient à une redistribution indirecte de valeur aux actionnaires.
Si l’on additionne ces deux éléments — dividende + rachats —, on obtient un rendement total supérieur à 10 %. Et ce, je le répète, sans avoir besoin d’une remontée du baril. Ce rendement est quasiment incomparable avec la plupart des grandes capitalisations européennes.

D’après nos projections, en 2025, TotalEnergies devrait redistribuer environ 17,5 milliards de dollars, soit plus de 15 milliards d’euros, alors que sa capitalisation boursière actuelle est de 126 milliards d’euros. Cela signifie qu’en une seule année, plus de 12 % de la valeur boursière sera retournée aux actionnaires.
En 2026, avec un scénario plus conservateur — un baril à 60 dollars dans nos hypothèses —, la redistribution resterait proche de 13,5 milliards d’euros, ce qui représenterait encore un rendement global de 10,7 %. Même dans un bas de cycle, TotalEnergies conserve cette discipline de retour à l’actionnaire, ce qui constitue une rareté dans le secteur.

La possible cotation aux États-Unis : un catalyseur pour la valorisation

Vincent Bezault : Un sujet revient régulièrement dans les discussions : la possible cotation principale de TotalEnergies aux États-Unis. Quelle serait la conséquence d’une telle opération ?

Laurent Lamagnère : En effet, cette idée est évoquée depuis plusieurs mois. Le PDG du groupe, Patrick Pouyanné, ne l’a pas exclue. Il s’agirait d’une migration de la cotation principale de Paris vers New York, ou du moins d’un renforcement de la présence du titre aux États-Unis, où il est déjà coté via des ADR (American Depositary Receipts).

Pourquoi ce sujet revient-il ? Parce que les majors pétrolières américaines sont mieux valorisées que leurs homologues européennes. Les investisseurs américains sont moins frileux vis-à-vis du secteur énergétique, et accordent des multiples de valorisation plus élevés, notamment en raison de la profondeur du marché, de la liquidité, et de la structure des fonds indiciels.

Dans ce contexte, coter TotalEnergies aux États-Unis pourrait permettre de réduire l’écart de valorisation entre le groupe français et des sociétés comme ExxonMobil ou Chevron. Cela offrirait aussi un accès facilité à une base d’investisseurs plus large, davantage tournée vers la valeur et le rendement, ce qui correspond bien au profil de Total aujourd’hui.
Cela dit, même sans ce catalyseur, le titre reste profondément sous-valorisé. Si cette opération venait à se concrétiser, ce serait un bonus, mais ce n’est pas une condition nécessaire pour que le titre performe à moyen terme.

Un titre à conserver sereinement sur le long terme

Vincent Bezault : En résumé, selon vous, quels sont les arguments clés en faveur de TotalEnergies dans un portefeuille aujourd’hui ?

Laurent Lamagnère : Si je devais résumer les choses simplement : TotalEnergies coche toutes les cases d’une valeur de fond de portefeuille.
D’abord, c’est un groupe solide financièrement, avec une discipline de gestion exemplaire, des coûts maîtrisés et une diversification intelligente entre pétrole, gaz et, progressivement, renouvelables.
Ensuite, c’est une entreprise qui offre un rendement très élevé, que ce soit via les dividendes ou les rachats d’actions. Ce taux de retour aux actionnaires dépasse les 10 %, ce qui est tout simplement exceptionnel dans l’univers des grandes capitalisations européennes.
Enfin, le groupe est bien positionné pour bénéficier du cycle énergétique mondial. Même dans un scénario conservateur, il dégage du cash. Et si le pétrole repart, comme le prévoient de plus en plus d’institutions internationales à partir de 2027, l’effet de levier sera immédiat.
Ajoutons à cela un potentiel de revalorisation, notamment si la cotation américaine se concrétise, et vous avez une action qui mérite d’être conservée sur plusieurs années, sans stress. Le marché vous paie pour attendre, et c’est précisément ce qu’on attend d’une valeur cœur de portefeuille.

Retrouvez l’intégralité de cet entretien en cliquant sur la vidéo ci-dessus

Retour en haut