
Après m’être accordé une petite pause stambouliote, histoire de prendre un peu de recul vis-à-vis de l’agitation ambiante, je reprends la plume. À défaut d’avoir pris des couleurs (que mes aficionados se rassurent, ils me reconnaitront, ma complexion est tout au plus passée du livide au blanc cassé), j’espère être revenu avec quelques idées claires.
Dans mes derniers scribouillages, je faisais état d’un optimisme entaché de prudence.
J’imaginais l’apaisement se prolonger et une extension de la hausse se poursuivre. Petit rappel de mon état d’esprit le 12 mai au soir : “Bien que je n’exclus nullement une respiration de la bourse après une remontée quasiment en ligne droite (+ 16 % pour le CAC 40, +18,72 % pour l’Euro Stoxx 50 et respectivement +20,9 % % et +26,5 % pour le S&P 500 et le Nasdaq entre le point bas du 7 avril et la clôture du 12 mai), une extension de la hausse me parait assez plausible. (…)
Est-ce que j’en ai profité pour acheter tous azimuts ? Non. J’ai légèrement réduit la portion de cash du portefeuille Synapses pour la faire redescendre à 24,5 % contre 26 % la semaine passée. On peut considérer que j’ai été… mesuré. Et cela est vrai.
Je suis resté fidèle à la stratégie de renforcement graduel des convictions les plus fortes, ce qui n’a pas empêché et n’empêchera pas des prises de profits partielles lorsque les gains sont rapides. Pourquoi une telle prudence ? Parce que je ne sais pas ce que demain réserve, mais que les probabilités d’un retour des crispations et des doutes n’est pas négligeable. Car rien n’est joué.
Sur le front de la guerre commerciale, la Chine et les États-Unis se sont accordés une trêve. Rien d’autre. Je ne suis pas forcément pessimiste. Je gagerais au contraire que les choses devraient plutôt bien se passer entre Pékin et Washington, en tout cas mieux selon toute vraisemblance qu’entre le l’U.E. et les États-Unis. Ces derniers peuvent jouer les matamores, le rapport de force est trop en leur défaveur pour qu’ils ne se contentent pas d’un compromis avec l’Empire du Milieu. En revanche, l’Europe a beaucoup à perdre, et elle n’a pas dans sa main les atouts de la Chine. Si mon pronostic se révèle juste, alors nous pourrions avoir quelques séances agitées en Europe.”
Les indices ont continué à progresser les séances ayant suivi l’écriture de ces lignes. Entre le 12 et 19 mai, le Nasdaq a repris près de 3 %, le S&P 500 plus de 2 % et le CAC 40 1,45 %. Et puis, Donald Trump nous a fait du… Trump et, comme je l’anticipais, les actions européennes paraissent bien parties pour connaître quelques séances agitées. 50 % de droits de douanes sur les produits européens, c’est une façon bien dans le style si urbain de l’actuel occupant du bureau ovale d’amorcer avec ses interlocuteurs une conversation féconde et constructive (surtout pour les États-Unis).
🇪🇺 L’Europe, la nouvelle piñata
La clôture du vendredi 23 mai nous a fourni une bonne indication de l’ambiance à venir. Et ceux qui visionnent assidûment les émissions de Synapses seront tout sauf pris au dépourvu. Je renvoie notamment ceux d’entre vous qui l’auraient ratée à l’interview que j’ai tournée avec Jacques Lemoisson de Gate Capital Management et dont le titre s’avère plutôt prophétique : L’Europe, future piñata de Trump ?
Est-ce que je pense aujourd’hui que nous allons reconnaître les points bas du 7 avril ? Si nous y retournons, je doute que ce soit la guerre commerciale avec l’Europe qui nous y reconduise. Pourquoi ? Parce que le marché a compris que Mr.Trump frappait d’abord, discutait ensuite, pour qu’éventuellement Mr Donald se radoucisse (surtout quand il a affaire à plus résilient que lui).
Dans l’esprit des investisseurs, les 50 % de droits de douane ne sont qu’une montée des enchères propre à The art of The deal. Comme pour le confirmer, après les menaces de vendredi, le ton s’est fait plus conciliant ce dimanche, suite à une “bonne” conversation téléphonique avec Ursula von der Leyen. Cela ne veut pas dire que les actions européennes ne souffriront pas. Elles vont, bien au contraire, connaître des séances agitées et il conviendra –m’est avis– de ne pas se précipiter et acheter au seul motif que les cours baissent. N’oublions pas, comme dit plus haut, que le rapport de force n’est pas en faveur des Européens et qu’il ne surprendrait personne que la question du Groenland soit mise dans l’escarcelle des négociations, le mélange des genres n’effrayant plus qui que ce soit de nos jours.
🇺🇸 S’exposer davantage aux U.S. ? Non, merci !
Faut-il donc tout miser sur les USA plutôt que sur L’Europe ? Euh… non… Et je vous renvoie cette fois très opportunément à ma dernière interview avec Christian Parisot d’Altaïr Economics, Bourse : confiance ou insouciance ? Tout y est dit des risques qui m’empêchent d’exposer davantage et le cœur léger le portefeuille Synapses aux actions U.S..
Mais dans le tableau que Christian nous a brossé des points d’alerte majeurs concernant les États-Unis, je retiendrai avant tout la dette de l’État fédéral, un sujet plus que prégnant à l’heure où l’administration Trump essaie de faire passer son Big Beautiful Bill (BBB), dont, tous les goûts étant dans la nature, chacun appréciera selon ses inclinations esthétiques la nature Beautiful, mais dont l’effet sur les finances publiques U.S. sera à n’en pas douter Big.
Selon les calculs du Joint Committee on Taxation (JCT) qui évalue et chiffre les propositions fiscales contenues dans la proposition de loi budgétaire portée par la House Committee on Ways and Means – Commission des voies et moyens, ou selon une traduction moins littérale et plus explicite Commission des finances (de la Chambre des représentants) – le BBB augmenterait la dette de 3.300 Mds de dollars intérêts compris, ou de 5.200 Mds de dollars si ses dispositions temporaires devenaient permanentes.
Le JCT écrit : “Nous estimons que le projet de loi de la Chambre des représentants augmenterait le déficit de l’exercice 2027 – le déficit de la première année d’application complète des mesures – de près de 600 milliards de dollars, soit 1,8 % du produit intérieur brut. Cela représente l’effet net d’environ 770 milliards de dollars de nouveaux emprunts et de seulement 180 milliards de dollars de compensations.”

“L’augmentation des déficits représente une augmentation d’un tiers du total des déficits projetés, de 1,7 à 2,3 billions de dollars – et un quasi- doublement du déficit primaire (hors intérêts).”
“Une paille”, comme disait ma grand-mère… On ne s’étonnera pas du coup de la crispation présente du marché obligataire avec un taux du bon du Trésor à 30 ans, tandis que je besogne à rédiger ces lignes, au-dessus de 5 %.
