Comprendre ce mécanisme est la seule façon d’esquiver les crises

Réflexivité Soros - Synapses

Le mythe du super-système
 
Lorsqu’on aborde le sujet de l’investissement financier, toutes classes d’actifs confondues, nous nous heurtons à plusieurs questions complexes qui n’ont, hélas pas de réponse figée :
 
Comment fonctionnent réellement les marchés ?
Pourquoi surgissent et perdurent les crises financières ?
 
Deux écoles répondent en s’opposant :
 
Les néoclassiques, qui croient en l’« efficience des marchés » et en leur autorégulation spontanée.
Les interventionnistes, qui prônent une régulation active par l’État.
 
Ces deux écoles ont néanmoins un point commun : elles s’accordent pour définir que l’économie est la somme des agents économiques qu’elle recouvre, c’est-à-dire les ménages, les entreprises et les États. Un super-système aux multiples ramifications.
 
Et si cette vision était incomplète ? Et si l’économie n’était pas un super-système ?
 
La réflexivité de Soros
 
C’est en tout cas la thèse défendue par Georges Soros, grand financier hongrois, dont la fortune culmine aujourd’hui à plusieurs milliards de dollars.
 
Selon lui, l’économie n’est pas un super-système organisé et administré par divers agents, mais le simple reflet des comportements des individus qui la composent, c’est-à-dire nous. Là où les économistes ont tendance à exprimer la macro-économie comme la somme des comportements de ses participants, Georges Soros défend l’idée qu’elle agit plus comme un reflet, un miroir, que comme un agrégateur. Mais il va plus loin en introduisant aussi la possibilité que ce reflet perturbe aussi la réalité même de l’économie. Ce que l’individu projette perturbe l’économie, jusqu’à ce que celle-ci se transforme en ce que  projette l’individu.
 
Une intuition que Georges Soros a éprouvé sur les marchés pendant des décennies. Son hypothèse n’est pas le fruit d’un travail académique, mais d’une recherche empirique.
 
À cet égard, il la nomme la théorie de la réflexivité, qui repose sur les bases suivantes :
 
L’individu est la cause d’une boucle de rétroaction (bulle) : l’individu est à l’origine d’un mouvement de prix. Un investisseur optimiste achète une action, ce qui en fait grimper le prix, ce qui confirmera son optimisme initial et qui validera son intuition que la situation économique était propice à cet investissement. 

L’individu est la conséquence (feedback réflexif): les bulles éclatent, car la réalité impartiale et objective se révèle enfin auprès des individus. Forcés d’admettre leurs erreurs, ils prennent des positions hâtives et déclenchent des retournements forcés. Raison pour laquelle les bulles ne désenflent pas en 10 ans, mais plutôt en 10 mois, voire 10 semaines…

L’individu est un accélérateur : les biais comportementaux vont accroître la puissance de ces phases de marché. Parmi eux, les biais de disponibilité et de confirmation seront les plus redoutables. L’investisseur est un véritable catalyseur systémique qui voudra, en outre, rétablir l’équilibre plus vite qu’il ne l’a perturbé. 

L’individu n’est jamais la solution : pour mettre fin à de telles boucles, Georges Soros suggère que l’intervention politique soit privilégiée de manière systématique. Les individus ne peuvent, d’après lui, se montrer suffisamment lucides et rationnels pour se détacher de leurs biais.
 
Théorie de la réflexivité x économie comportementale 
 
Par ailleurs, cette approche n’est pas sans faire écho aux travaux académiques de Daniel Kahneman et Amos Tversky, qui eux aussi se sont essayé à proposer une alternative à la vision néoclassique de l’économie. Ils partagent avec Georges Soros la vérité suivante : les individus ne sont pas rationnels. Les mécanismes de prises de décisions sont clairement imparfaits, mais prédictibles. L’étude des biais cognitifs permet de jauger des probabilités d’action, en fonction de la crainte des investisseurs ou de leur appétence pour le risque. 
 
Là où la finance comportementale de Kanheman va nous éclairer sur la structure même de nos processus de décision, Georges Soros va en dessiner les implications depuis la salle de marché.
 
En quoi nous aide la théorie de la réflexivité ?
 
Recentrer la macro-économie, si complexe soit-elle, autour de l’individu unique que nous sommes, est une idée qui semble assez farfelue. Comment une goutte d’eau influencerait-elle l’océan ? Le rapport d’échelle semble dissonant.
 
Pourtant, ce n’est qu’une autre façon d’observer ce que la loi de Pareto exprime déjà : une faible quantité d’actes peut générer de très grands résultats. 

En effet, la loi de Pareto évoque un ratio 80/20 : 80% des résultats générés sont la cause de 20% de nos actes. On se rapproche de la goutte qui, à elle seule, détermine le sort de l’océan. Mais il manque encore quelques ordres de grandeur.
 
Un seul rat pour tous les guider
 
Une expérience menée sur des rats en laboratoire, conduite par Didier Desor en 1980 à l’Université de Nancy, conclut qu’un seul rat, parmi une communauté de 10 au total, peut devenir le catalyseur d’un fonctionnement collectif. Dans cette expérience, le rat, sans y être contraint, ose franchir un obstacle pour se nourrir. Ses 9 compères acceptent, par la force des choses, la hiérarchie que cette prise d’initiative induit. Ils se conforment sans sourciller à un rôle de mendiants passifs, c’est-à-dire qu’ils se partagent les restes – s’il y en a.

L’expérience illustre que dans tout groupe se produit une émergence. Un individu peut faire pencher la balance. Un individu peut mettre fin à l’inertie d’un collectif. 
 
Un principe ancestral
 
Cette expérience rejoint la philosophie de Nietzsche sur le sujet. Ce n’est pas par appétit de domination que l’individu – ou le rat – émerge. C’est parce que sa puissance intrinsèque l’y conduit. Il agit parce qu’il doit agir, et parce qu’il sait qu’il ne pourra pas faire autrement. Toute notre histoire civilisationnelle semble reposer sur ces mécaniques comportementales : un individu émerge, et de son émergence naît des inventions qui façonneront le monde entier : le feu, la roue, l’écriture, l’électricité, le téléphone, internet, l’intelligence artificielle …
 
Et c’est exactement là que la théorie de la réflexivité de George Soros prend tout son sens. Soros ne dit pas que les marchés obéissent à une logique purement systémique. Il affirme que ce sont les individus, par leurs croyances, leurs erreurs, leur imagination ou leurs biais cognitifs, qui modèlent les marchés, et que ces marchés, en retour, modèlent leurs comportements sous la forme de réaction, qui sont matérialisés par des mouvements de prix.

En conclusion, l’individu, à la fois cause et conséquence du système économique, est inévitablement le cœur de la mécanique des marchés. C’est la raison fondamentale pour laquelle chaque investisseur désireux de s’exposer aux marchés doit investir son esprit avant son capital.
 
Le manque de lucidité ou de rationalité dans nos prises de décision n’est pas une fatalité. Et c’est bien pour cela que nous passons en revue les marchés en live pour prendre les meilleures décisions possibles, en nous détachant au maximum d’un risque de sur-interprétation, voire de mésinterprétation.

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