
En 1988, les Négresses vertes faisaient danser la France avec l’un de leurs plus gros tubes. Helno goualait :
Voilà l’été
Voilà l’été
Voilà l’été
Voilà l’été
Voilà l’été, j’aperçois le soleil
Les nuages filent et le ciel s’éclaircit
Et dans ma tête qui bourdonnent
Les abeilles!
J’entends rugir les plaisirs de la vie
C’est le retour des amours
Qui nous chauffent les oreilles
Il fait si chaud
Qu’il nous pousse des envies
C’est le bonheur rafraîchi d’un
Cocktail
Les filles sont belles et les dieux sont ravis
A n’en pas douter, l’été invite à un optimisme universel et c’est peut-être la raison pour laquelle, de l’autre côté de l’Atlantique, les investisseurs entonnent à gorge déployée “Summertime, and the livin’ is easy”.
Et comment donc que la vie est belle ! Les dieux sont ravis et les boursiers aussi ! Le S&P 500 et le Nasdaq ont non seulement comblé l’intégralité de leurs pertes du krach du Liberation Day, mais au surplus, ils se sont hissés le 30 juin à des plus hauts historiques. Sur un seul petit mois, ils battent de plus de 5 % le Stoxx 600.
De quoi se morfondre, je vous l’accorde, de la sous-exposition volontaire du portefeuille Synapses aux actions américaines et de la vente la semaine dernière de META. Il faut assumer ses choix et c’est ce que je fais des miens. La coquette valorisation de Meta et la plus-value de 25 % engrangée en moins de deux mois constituent toujours des bonnes raisons pour avoir vendu le titre. De toutes façons, ce qui est fait est fait. En bourse, apprendre à vivre avec les regrets et se focaliser sur les opportunités est la loi d’airain.
Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis
Lorsque l’on investit, il faut aussi savoir faire évoluer son point de vue. Ceux d’entre vous qui me lisent régulièrement savent à quel point je crois qu’il est impératif d’avoir des convictions, sinon on ne prend ni risque ni décision. Toutefois, s’arcbouter sur des certitudes parce que l’on ne veut pas reconnaître soit que l’on s’est trompé, soit que le contexte a évolué et peut-être même dans une direction que l’on n’avait pas forcément envisagée constitue un travers détestable que cultivent généralement ceux qui se prennent pour des gourous. Cela tombe bien, je n’en suis pas un, et n’aspire aucunement à le devenir. Et comme tout être qui avance dans la vie sans être bardé de certitudes, je me pose des questions.
L’une d’elles m’occupe l’esprit depuis au moins deux semaines : dois-je exposer davantage le portefeuille Synapses aux États-Unis ? Et d’abord pourquoi cette interrogation ?
J’ai assez raillé Donald Trump pour sa communication brouillonne et mal embouchée, ses reculades flagrantes et piteuses (le fameux TACO –Trump Always Chickens Out– Trump finit toujours par se dégonfler– dont les investisseurs se sont délectés pour reprendre du risque) ainsi que les contradictions de ses positions et celles de son administration, pour reconnaître cependant que, dans son style inimitable, il a remporté ou est en passe de remporter plusieurs victoires majeures. Des victoires de façade, parfois, peut-être, mais des victoires tout de même, et qui, dans un monde où depuis belle lurette le faire-savoir prime sur le faire ou le savoir-faire, se révèlent tout autant décisives. Surtout à l’heure où les algorithmes et les investisseurs particuliers réagissent davantage aux gros titres qu’aux contenus des articles que personne ou presque ne prend plus la peine de lire – ce que le 47e président des États-Unis a compris mieux que personne.
Les victoires de Trump
De quelles victoires s’agit-il ?
Une victoire juridique de premier plan : la cour suprême a rendu son arrêt le 27 juin. Les juges fédéraux ne peuvent plus bloquer à l’échelle nationale les décisions de l’exécutif qu’ils jugeraient illégales. Cela laisse le champ libre à l’homme orange.
Une double victoire géopolitique : quoi que l’on pense de la suite possible des événements, et en dépit des protestations véhémentes d’une partie de sa base électorale, ulcérée à la perspective de voir possiblement les Etats-Unis s’enliser dans un conflit sanglant avec l’Iran, Donald Trump, en limitant l’intervention américaine à une démonstration de force, aussi spectaculaire que ciblée, a réussi à obtenir une paix précaire entre Israël et la République islamique tout en ramenant la diplomatie dans le jeu –et cela, sans entraîner les Etats-Unis dans une guerre à même de déstabiliser toute la région. Pas un mince exploit. On peut gloser autant que l’on veut sur l’innocuité du bombardement de l’US Airforce pour le programme nucléaire iranien, et ironiser sur la manière dont l’attaque américaine et la réplique iranienne furent chorégraphiées par les deux camps, il n’empêche le résultat est là et il n’est pas fortuit que le marché boursier ait à peine frémi durant cette guerre de douze jours.
Du côté de l’OTAN, le chantage au départ des États-Unis a produit son effet. Les 32 pays membres de l’organisation sont convenus d’augmenter leurs dépenses de défense à 5 % de leur PIB. Bien sûr, rien de tel que des chiffres ronflants pour faire plaisir à tout le monde, et les moins naïfs savent que derrière ceux-ci se dissimulent des approches créatives permettant de comptabiliser des dépenses d’infrastructures dans les dépenses de défense. Mais qu’importe. Les apparences sont sauves et Trump a remporté une nouvelle victoire.
Une victoire probable dans la guerre commerciale : si vous m’objectez que le mano à mano avec la Chine ne s’est pas forcément soldé comme les États-Unis le désiraient, je n’irai pas par quatre chemins : je suis à 200 % d’accord avec vous. Néanmoins, les produits chinois n’en sont pas moins frappés de droits de douane de 30 %. C’est toujours plus que les 10 % infligés aux produits américains. Par ailleurs, la posture de caïd a bien fonctionné avec le Canada qui sous la menace de rupture des négociations a capitulé en rase campagne et renoncé à sa taxe sur les services numériques. L’Union européenne, quant à elle, serait prête à accepter un accord commercial avec les États-Unis incluant un droit de douane universel de 10 % sur un grand nombre de ses exportations, mais souhaiterait que les États-Unis s’engagent à abaisser ses droits de douane sur certains secteurs clés. La chose n’est pas conclue, mais on voit dans quel sens le vent est en train de souffler.
Toutefois, je me garderai bien de crier en la matière la victoire de Trump trop tôt. Il est prématuré de considérer que l’affaire des droits de douane est définitivement derrière nous : Donald Trump prétend toujours s’en tenir à l’échéance du 9 juillet pour négocier des accords avec les pays visés ; au-delà de cette date, les droits de douane pourraient s’appliquer dans toute leur rigueur initiale –24 % pour les biens japonais contre 10 % durant la phase de négociation, un exemple qui n’est pas sorti du chapeau par hasard, car le Japon refuse de céder sur les importations de riz américain afin de protéger ses agriculteurs. Une sacrée chenille dans la salade, comme disait ma grand-mère. Et si elle n’est pas une chenille, la taxe sur les services numériques de l’UE pourrait également être un sérieux caillou dans la chaussure des négociateurs.
Une possible victoire législative majeure : l’enjeu est aujourd’hui moins le contenu du Big Beautiful Bill –BBB- (bien que celui-ci ne soit pas du tout anodin, nous allons y revenir) que son adoption avant le 4 juillet. Le symbole sera fort et très probablement salué par le marché. Rien n’est cependant fait. Certains élus Républicains, alarmés par l’accroissement du déficit budgétaire, font la sourde oreille pour voter le texte en l’état. Les marchandages vont être âpres.
L’image de la toute-puissance américaine alimente la mystique de l’exceptionnalisme américain et nourrit aussi les esprits animaux des investisseurs. Le triomphe de Trump, s’il se confirme avec le vote du Big Beautiful Bill, offrira de surcroît une forme de visibilité ou, disons, une impression de visibilité que le marché est bien capable de célébrer d’autant plus vivement que les premiers mois de l’administration Trump l’en avaient privé.
En outre, le BBB, dont la bombe pour la dette U.S. qu’il incluait –à savoir l’effroyable article 899– a été largement désamorcée, comporte de quoi provoquer un feu d’artifice sur les marchés.
Le projet de loi prévoit une réduction des exigences de capital et de liquidité pour les banques, notamment en abaissant le ratio de levier supplémentaire (SLR). Cette mesure permettrait aux grandes institutions financières de détenir moins de capital de haute qualité face à des actifs jugés peu risqués, comme les Treasuries. C’est clairement une incitation à en acheter davantage, pour pouvoir les placer en collatéral et faire du levier.
Autre chose : le BBB contient plusieurs mesures fiscales favorables aux entreprises, notamment en matière d’investissements technologiques. Le projet de loi prolonge la déduction immédiate à 100 % (bonus depreciation) pour les biens d’équipement placés en service avant 2030, ce qui inclut potentiellement certains équipements liés à l’IA. De quoi mettre l’investissement sous stéroïdes.
Difficile de ne pas croire dans ces conditions que les bénéfices des entreprises américaines ne vont pas surprendre positivement. Surtout que la purge semble en partie faite du côté des révisions à la baisse des analystes.

Dans le graphique ci-dessus, on voit que les résultats du T1 ont finalement surpris à la hausse et que les attentes concernant les trimestres suivants ne se dégradent plus. De quoi alimenter la poursuite de l’ascension de la bourse U.S..
Suis-je en train d’oublier les risques ? Non, je ne les occulte pas ni ne les minore. Si vous m’avez lu attentivement un peu plus haut, vous aurez compris que rien n’est joué tant que certaines échéances cruciales ne seront pas passées : le 4 juillet pour le BBB et le 9 juillet pour les droits de douane.
En outre, le BBB accentue la question du déficit et des charges d’intérêt astronomiques payées par l’Etat fédéral, mais si l’administration Trump parvient à faire acheter les émissions de bons du Trésor aux banques ou aux émetteurs de stablecoins le problème sera mis un temps sous le tapis.
Je n’oublie pas non plus que les membres de la FED s’inquiètent toujours d’une résurgence de l’inflation. Au dernier pointage, ils sont 14 membres du Comité de Politique Monétaire de la banque centrale américaine à estimer qu’il existe des risques de révision à la hausse de leurs prévisions d’inflation.

Ils sont tout autant à estimer que le taux de chômage puisse remonter.

C’est ce que l’on appelle un scénario stagflationniste. Les membres du FOMC ont-ils tort ? La croissance survitaminée que cherche à instaurer Donald Trump balaiera-t-elle leurs craintes ? Pas impossible. Dans ce cas, mieux vaut tout de même avoir des actions U.S. en portefeuille… jusqu’au moment où l’inflation redeviendra peut-être un sérieux problème.
“Entendu, mais… sur quelles actions se positionner ?”, me suis-je demandé in petto. Avec un Nasdaq 100 qui se paie 28 fois les bénéfices et un S&P 500 22 fois, les valorisations ne sont pas de nature à me rendre totalement serein.

En outre, selon Michael Hartnett, le stratégiste de Bank of America, bien que le S&P 500 soit sur le point de connaître sa septième grande percée (haussière) depuis les années 1990 –un pronostic fondé notamment sur les flux massifs qui se redirigent vers les actions américaines– le nombre d’actions présidant au mouvement en cours est le plus faible jamais vu.
Seuls 22 titres culminaient à leur plus haut historique le 26 juin. Généralement, les grandes phases d’accélération du marché sont accompagnées par davantage d’actions se situant à des cours records.

Néanmoins, Harnett remarque aussi que 83 actions du S&P 500 se trouvent actuellement à moins de 5 % de leur plus haut historique, tandis que 146 sont à moins de 10 %. Si les choses s’accélèrent, la participation à la hausse pourrait grandement s’améliorer.
Quoi qu’il en soit, j’ai beau me dire, que l’adoption du BBB pourrait déclencher un feu d’artifice, le niveau des valorisations et le cycle baissier dans lequel est engagé le dollar freinent un tantinet mes ardeurs. Donc oui, ré-exposer le portefeuille Synapses mais pas à n’importe quel prix et en allant plutôt sur des secteurs favorablement orientés.
Étant un être par nature pondéré, et gérant ledit portefeuille Synapses comme si c’était le mien, autrement dit avec une circonspection de bon aloi, j’ai longuement débattu avec moi-même. Je préfère vous épargner les détails de la dispute méandreuse qui agita mes soirées entre moi et moi. Pour faire court, après avoir été, entre autres, très tenté par un retour sur les valeurs de la cybersécurité (Crowdstrike, Palo Alto, Zscaler, pour lesquelles l’ami Jean-Michel (Salvador) avait eu plutôt le nez creux dans ses Top Picks) puis in fine découragé par leurs valorisations, je me suis rabattu sur Arista Networks (ANET).
Arista Networks conçoit et commercialise des commutateurs Ethernet ultra-rapides (100G, 400G, 800G), ainsi qu’une architecture réseau entièrement programmable, appuyée sur son propre système d’exploitation réseau, l’EOS (Extensible Operating System).
L’entreprise fournit ses solutions principalement aux géants du cloud (hyperscalers) comme Microsoft, Meta ou Amazon, mais également à des entreprises cloud-native, à des institutions financières ou scientifiques, ainsi qu’à des organismes gouvernementaux qui exigent des réseaux ultra-stables et à très faible latence. Ses technologies sont particulièrement recherchées dans les data centers orientés IA, où les besoins en bande passante et en performance sont massifs.
Entre 2025 et 2028, le bénéfice par action dilué d’Arista Networks est attendu en forte progression, avec un taux de croissance annualisé de 23,3 %. Le titre se paie 33 fois 2026. Vous trouvez cela cher ? Dans ce bas monde tout est relatif. Comparez donc les 33 fois d’Arista au 178 fois 2026 de Palantir, ou les 146 fois 2026 de Crowdstrike.
La position initiée représente 0,95 % du portefeuille. Comme vous pouvez le constater nous n’avons pas significativement entamé notre réserve de cash (qui est cependant descendue à 18 %) ni renoncé à toute prudence en ce qui concerne l’exposition aux U.S..
Une partie du coût d’Arista a été compensée par la vente de la petite ligne de Michelin que nous avions introduite dans le portefeuille début juin. J’ai décidé de couper la position en prenant une perte modique de 3,5 %. Ce qui a motivé cette décision n’est nullement une défiance vis-à-vis du groupe qui demeure remarquable à bien des égards, mais la conviction que les effets de change vont jouer négativement sur la dynamique de résultats et donc sur le titre. La baisse du dollar va prélever sa livre de chair au sein des entreprises européennes. Les publications du 2e trimestre et surtout les révisions des perspectives en témoigneront.
Du reste, ce 1er juillet, Sodexo que nous avions revendu début juin au même motif mais en légère plus-value (+ 5 %) contrairement à Michelin, s’est résigné à abaisser ses perspectives en raison des effets de change négatifs (c’est-à-dire, à nouveau, à cause de la dépréciation du billet vert).
Et la pharmacie, me direz-vous un brin goguenard, toujours un pari assumé ? Tout à fait et plus que jamais. Le secteur étant boudé, la pharma constitue indubitablement la poche Value du portefeuille. Mais je sais ce qu’il en est des caprices du marché. Il brûle sans vergogne ce qu’il a porté aux nues, avant de se redécouvrir une passion pour ce qu’il avait foulé aux pieds. Je prends donc mon mal en patience. Et pour tromper l’ennui, et peut-être aussi pour me réconforter, je contemple régulièrement ce graphique d’AlphaValue.
