Existe-t-il un côté obscur de la Force en ce qui concerne notre manière d’investir ?
C’est un sujet que nous avons déjà partiellement abordé ici, lorsqu’il était question de savoir si moralité, mérite et richesse étaient corrélés. Cette fois-ci, notre propos s’intéressera davantage aux émotions négatives, telles que la colère, afin de déterminer si elles peuvent jouer un rôle positif dans nos processus de décision.
Ouvrons notre réflexion en invoquant un célèbre personnage de la pop culture américaine.
Vous souvenez-vous de cette créature verte qui déblatérait des conseils à la pelle tout en prenant soin d’inverser le sens de ses phrases pour leur donner plus de panache ? Même si Disney semble, depuis le rachat de Lucasfilm en 2012, avoir quelque peu abîmé la licence venue tout droit d’une galaxie lointaine, il n’en reste pas moins un héritage intergénérationnel dont le maître Yoda fait incontestablement partie.
On lui prête le rôle de philosophe tout autant que de chef de guerre, alors il ne fait aucun doute que, pour bon nombre d’entre nous, ses recommandations sonnent juste.
Pourtant, si l’on en croit des études qui traitent du rôle que jouent les émotions sur nos processus mémoriels, nos capacités à prendre de bonnes ou de mauvaises décisions, ainsi que sur notre rapidité à agir, il semblerait que, n’en déplaise au Grand Maître Yoda, la colère soit bien un levier puissant, pertinent et finalement indispensable pour agir de la meilleure manière possible.
Le côté obscur de la Force n’est pas simplement “plus facile, plus rapide, plus séduisant”, comme il le disait au jeune Luke dans L’Empire contre-attaque. Il terminait même sa tirade en affirmant que le côté obscur ”n’était pas le plus fort”.
Pourtant, il est réellement bien plus puissant, et nous allons voir ça ensemble.
Explications.
Une étude de 2023 publiée dans Journal of Personality and Social Psychology s’est intéressée au sujet de près.
Les chercheurs ont analysé les données d’enquête de plus de 1 000 participants. Ces derniers avaient à accomplir certaines tâches, tantôt faciles, tantôt ardues, sous le coup de certaines émotions induites par les chercheurs. Pour ce faire, les organisateurs de l’expérience avaient placé des écrans face aux participants afin de pouvoir diffuser une série d’images bien précises. Elles avaient pour but de déclencher des réactions d’ordre émotionnel, comme de la peur, de l’inconfort, du désir, du dégoût, de la colère, de la joie et même de la tristesse.
La première expérience consistait à trouver le plus de mots possible à partir de séries d’anagrammes de difficulté variable, sachant que le public cible était de tous horizons culturels. Grâce à la série d’images visionnées pendant à peine 5 secondes par les participants, les chercheurs ont établi des groupes par émotion induite : un groupe “colère”, un groupe “tristesse”, un groupe “joie”, etc.
Le groupe “colère”, composé d’⅕ des participants, a obtenu des résultats très élevés et a terminé sur le podium devant tous les autres groupes portés par d’autres émotions. Yoda n’a qu’à bien se tenir, car la suite a de quoi être encore plus déstabilisante pour le petit sage aux grandes oreilles vertes.
En plus de confirmer que la colère est un puissant vecteur, l’étude semble révéler que l’absence d’émotion forte, incarnée par le groupe “neutre” qui n’avait pas été orienté sur une émotion en particulier, conduit aux résultats les plus médiocres. Si l’on se fie à ces observations, tout porte à croire que ce sont bien les Jedi qui se fourvoient avec leur doctrine, et non leurs adversaires du côté obscur.
L’étude conclura que, “lorsque les gens étaient en colère et qu’ils persistaient, ils avaient plus de chances de réussir. Mais dans tous les autres états émotionnels, lorsqu’ils persistaient, ils avaient plus de chances d’échouer. Cela semble donc indiquer que les gens sont plus persévérants lorsqu’ils sont en colère.”
Au vu des résultats finaux constatés auprès des différents groupes, cette persévérance est le moteur principal d’une réussite qui suppose nécessairement un raisonnement valide. La colère pourrait donc bien être un accélérateur cognitif tout autant qu’un filtre qui permet d’esquiver des réflexions hasardeuses, non nécessaires ou même erronées.
Tirer parti du côté obscur de la Force dans vos investissements
“Le Côté Obscur de la Force est un moyen d’acquérir de nombreuses facultés considérées par certains comme contraires à la nature.” (Citation de l’Empereur | Sheev Palpatine – Épisode 3 Star Wars)
Cette affirmation, bien que sinistre dans la bouche de Palpatine, pose une vraie question : et si notre force résidait justement dans ce que l’on cherche souvent à refouler ?
Et si, au lieu de tenter de devenir ce que nous ne sommes pas encore — des machines froides, sans émotions, à la rationalité prétendument parfaite mais pourtant à géométrie variable — nous choisissions plutôt de puiser dans ce qui fait profondément notre humanité afin de progresser et créer les conditions de notre réussite, y compris en intégrant les émotions que l’on juge souvent négatives, comme la colère ?
Si vous avez des objectifs ambitieux pour votre patrimoine et pour votre portefeuille, vous ne pouvez pas vous en remettre à des stratégies passives, donc neutres de toute émotion. Cela ne veut pas dire faire n’importe quoi et agir au gré de vos instincts les plus primaires, cela signifie plutôt qu’il faut maximiser l’efficacité des processus chimiques à l’œuvre, être à leur écoute et les exploiter au bon moment. Ce faisant, la colère ne doit en rien être exclue du champ des émotions nécessaires à ressentir lorsqu’on poursuit un objectif.
Pour rappel, la colère survient généralement lorsque la poursuite d’un objectif est contrariée et qu’elle nécessite une attention particulière. Elle peut aussi résulter d’une frustration que nous voudrions éradiquer.
Typiquement, un investissement générant une perte latente de 40 % a de quoi énerver, surtout lorsque ce placement vous a été chaudement recommandé par un tiers de confiance. Mais cet agacement doit pouvoir devenir un levier d’action dont la probabilité que la conclusion soit positive, dans certains cas, est plus importante qu’une forme d’acceptation passive de l’échec.
Pour se le dire clairement, la colère déclenchée par une moins-value latente doit être perçue comme un rappel à l’action, ou une “préparation à l’action” d’après cette étude : profiter d’un point bas pour tirer son prix d’achat moyen vers le bas, ou couper sa ligne pour revenir plus tard si le fondamental est bon, ou encore abandonner le titre pour se concentrer sur un meilleur dossier.
Autant de règles qui sont plus difficiles à mettre en application lorsque les marchés sont euphoriques. Lorsque la performance semble constante et assurée, nous sommes gagnés par la joie, la satisfaction et la fierté, et la tendance à se reposer sur nos acquis grandit inévitablement.
Alors, ayez du skin in the game. Craignez la volatilité. Ayez peur de perdre. Souffrez de vos échecs. Regrettez les occasions manquées. Cultivez votre jalousie. Ce n’est qu’à cette condition que votre colère sera assez puissante pour que vous embrassiez pleinement tout le potentiel du côté obscur de l’investissement et que vous apportiez la prospérité à votre portefeuille…