En bourse, il est essentiel de savoir choisir ses batailles. Et pour cela, j’incline à croire qu’il n’y a pas mille et une façon de procéder.
Vous le savez, avec Synapses, je cultive la pluralité des points de vue. Je reçois des gens de toutes obédiences, de toutes sensibilités, de toutes approches, des bulls, des bears, des global macro, des stock-pickers. Cela déconcerte du reste une partie de l’audience qui préférait qu’on lui présente une vision du monde d’un seul tenant, simple voire simpliste et jamais à rebours de ses convictions profondes.
J’ai mes propres biais de confirmation, et je les combats de toutes mes forces, depuis que j’ai constaté en plusieurs circonstances qu’ils m’avaient aveuglés… et, par la même occasion, fait rater des opportunités majeures ou prendre à la légère des risques qui se sont au final matérialisés. N’allez pas croire que je renonce à mon point de vue, mais je le questionne, soit pour le moduler, soit pour le renforcer, soit pour en changer. Et c’est ce que Synapses ainsi que les lectures d’études auxquelles je m’astreins me permettent de faire.
La dernière fois que j’ai pris la plume, je vous avais confessé que j’avais profité du mouvement de panique provoqué par les droits de douane de Mr Trump, pour non pas faire des emplettes, mais reconfigurer mon portefeuille avec une ligne directrice : me donner les moyens d’intervenir lorsque la volatilité, dont je pense qu’elle ne tirera pas sa révérence de sitôt, m’offrirait l’occasion de me renforcer à vil prix sur des titres que je détiens. Dans cette optique, j’ai considérablement réduit de 52 à 29 le nombre de mes lignes en vertu du principe du « qui trop embrasse, mal étreint » et, à cette occasion, regonflé substantiellement ma poche de cash (36 %).
“La bourse est en outre assez généreuse pour m’offrir en temps voulu des opportunités “
Je savais qu’en procédant aussi promptement, je me mettais en risque de voir le marché rebondir et de me manger les doigts d’être sorti trop tôt de certains titres. Ce qui, ainsi que je le pressentais, n’a pas manqué d’advenir. Mais je sais aussi d’expérience que si regrettable que puisse être le timing d’une décision, ce qui importe vraiment est qu’elle soit cohérente avec votre lecture du marché. La bourse est en outre assez généreuse pour m’offrir en temps voulu des opportunités que je parviendrai, malgré toutes mes lacunes, à saisir. Un pronostic qui ne résulte pas d’une confiance excessive en ma petite personne mais de l’expérience que confèrent 25 ans et des poussières de pratique des marchés.
Quoi qu’il en soit, j’ai vu mon portefeuille remonter mais sans doute pas autant que si j’étais resté plus investi. Je demeure cependant persuadé que ma décision est la bonne dans le contexte actuel.
Cette conclusion résulte de réponses à plusieurs questions que je me suis posées entre la newsletter de la semaine précédente et celle d’aujourd’hui.
La première est la suivante : est-ce que l’eau que Donald Trump a mis dans son vin douanier nous ramène à la situation ex-ante et donc à cette période pas si lointaine d’optimisme boursier ?
À l’évidence, la réponse est NON. Pourquoi ? Parce que rien n’est stabilisé.
“L’incertitude incertaine”
Les rétropédalages partiels, les zigs et les zags du sieur Trump donnent le tournis mais la direction que tout ceci prend est assez limpide : à l’instar de l’administration Biden, l’équipe Trump fera tout pour assurer la prééminence future de l’empire Américain sur le reste de la planète et pour cela, elle persévérera dans la réécriture des règles du jeu. Cette dernière sera-t-elle totale ou partielle ? Bien heureux celui qui peut le prédire, surtout que la Chine parait prête à en découdre. En revanche, pauvres investisseurs que nous sommes, nous avons déjà un aperçu du cadre avec lequel nous allons devoir composer durant plusieurs semaines ou mois, celui de « l’incertitude incertaine », pléonasme poétique que j’emprunte en l’occurrence à Régis Yancovici, que j’ai interviewé pour Synapses la semaine dernière.
Ce que Régis s’efforçait de traduire par cette formule un chouïa ésotérique est que les marchés actions vivent de l’incertitude, mais que lorsque celle-ci est telle que la visibilité est réduite à néant, la volatilité ne peut qu’être la maîtresse de cérémonie. Or, nous en sommes là. D’où mes 36 % de cash – si personne ne sait à quelle sauce le monde va être mangé, pourquoi voudriez-vous que je fasse le malin ? Wait and see… pour agir quand la visibilité s’améliorera ou que les prix seront suffisamment déprimés pour que le jeu en vaille la chandelle.
“Savoir écouter ce que disent les marchés obligataires”
Par ailleurs, il faut savoir écouter les messages en provenance du centre de l’univers, à savoir aujourd’hui le marché obligataire. Si ce dernier a fait plier partiellement Trump le 9 avril, s’est-il toutefois réellement apaisé ? Une fois encore, je suis obligé de répondre par la négative.
Les taux des bons du Trésor à 10 ans n’ont pas significativement reflué. Ils se situaient à 4,40 % fin de semaine dernière, un niveau à surveiller de près surtout si la Chine décide de liquider une partie de son stock de dettes U.S. pour mettre en échec les États-Unis, un niveau qui par ailleurs traduit les inquiétudes des investisseurs obligataires vis-à-vis d’une résurgence de l’inflation provoquée par les droits de douane. Et en l’espèce, la FED, par la voix de son président, ne se donne pas beaucoup de mal pour les rassurer :
« Nous pourrions nous retrouver dans un scénario difficile où nos deux mandats [lutter contre l’inflation et assurer le plein emploi] seraient en tension… Si cela devait se produire, nous examinerions la distance qui sépare l’économie de chaque objectif et les horizons temporels potentiellement différents sur lesquels ces écarts respectifs devraient se combler » a déclaré Jerome Powell, devant l’Economic Club de Chicago.
La fête est finie
Pour dire les choses sans ambages, Powell dit aux marchés qu’ils peuvent toujours courir pour que le FED put (autrement dit l’assurance que la banque centrale américaine intervienne pour soulager les affres des marchés par un QE ou des baisses de taux) soit activé dans la minute. Or, pour des marchés qui ont pu compter sur une FED obligeante durant une décennie et demie, voilà quelque chose de nouveau avec quoi il va falloir apprendre à vivre. Et cela implique que la manière de jouer en bourse doit changer.
Depuis 2008, acheter des indices via des ETF suffisait à performer. Pourquoi aurait-il été nécessaire de se compliquer la vie à déterminer quoi jouer au sein du marché quand l’on vous annonçait que ledit marché allait monter ? Autant jouer le marché !
La fin du FED put signifie que le parcours de la bourse sera plus chaotique et que les performances seront sans doute bien davantage dispersées. Cela implique qu’il est plus que jamais crucial de bénéficier d’une recherche indépendante (quand je parle de recherche indépendante, je veux dire une recherche qui n’est pas le bras commercial déguisé d’une banque d’affaires et qui n’a donc pas peur d’émettre des opinions négatives) afin de comprendre les sociétés ou les secteurs dans lesquels on investit.
Je l’avoue, ce dernier point est ma marotte : pourquoi croyez-vous que j’ai noué ce partenariat avec AlphaValue, qui permet à l’investisseur individuel que je suis d’avoir des éclairages de première main sur les 500 plus grandes entreprises européennes ? Parce que j’ai toujours été convaincu qu’à un moment donné la connaissance des entreprises, de leurs forces et de leurs faiblesses, finirait par être à nouveau un facteur primordial de performance, pour peu qu’on se donne du temps. Or, la performance dans la durée est au rendez-vous chez AlphaValue : + 204 % de performance et + 109 % de surperformance par rapport au Stoxx 600 en dix grosses années pour leur liste Buy & Hold réservée aux professionnels.
Notre liste Elite Synapses en est la déclinaison dédiée aux particuliers. L’idée reste toujours la même, la qualité finit à un moment ou un autre par l’emporter, et l’époque qui vient requiert plus que jamais de déterminer quelles entreprises offrent les modèles économiques les plus solides
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Néanmoins, ces entreprises, vont être, selon moi, malmenées comme les autres dans les semaines et mois à venir car l’absence de visibilité n’épargne personne. Nous ne sommes qu’à l’amorce du processus de découverte de la manière dont les perspectives de chiffres d’affaires et de marges seront affectées par l’immense incertitude régnante. Elles le seront négativement, certainement, mais quelle sera l’ampleur de la révision ? C’est la question dont nul ne connaît la réponse.
“Le pire n’est jamais certain”
Néanmoins, comme le rappelait très justement Pierre Sabatier lors de notre dernière interview postée sur YouTube ce dimanche, ayons en tête qu’une récession (qui est redoutée, mais pas avérée dans le cas présent) entraîne environ 35 % de révision à la baisse des prévisions de profits et une baisse effective de 25 % de ces mêmes profits. Nous n’y sommes pas encore et peut-être n’y serons-nous pas du tout. Mais compte tenu des actuels niveaux de valorisation, qui ne sont pas donnés, même en Europe (PER de 16,7 fois 2025, hors banques, pétrolière et minières), une érosion des marges qui se confirmerait (et cela semble bien parti pour) pourrait aboutir à une correction significative.
Tout ceci justifie, encore une fois, le recentrage de mon portefeuille sur des valeurs que je souhaite prioritairement détenir et la généreuse portion de cash en son sein. Mais si je suis si prudent, pourquoi ne pas sortir tout simplement ? Primo, parce que le pire n’est jamais certain, et deuxio, parce qu’il existe une force de rappel : le pessimisme accru des investisseurs.
Selon Polymarket, les probabilités de récession sont passées de moins de 20 % début janvier à 57 % le 21 avril. Autre indicateur contrarien, le ratio Bull/Bear de Investors Intelligence se trouve être environ 3,5 fois inférieur à sa moyenne historique. Celui de AAII s’avère 2,7 fois inférieur à sa moyenne de long-terme. C’est souvent le signe annonciateur d’un rebond significatif de la bourse car quand le pessimisme est à son comble, il reste d’ordinaire peu de vendeurs dans le marché et la moindre bonne nouvelle (ou la moindre nouvelle un peu moins mauvaise que prévu) peut faire flamber les cours.
“Choisir ses batailles”
J’ai du mal à croire que nous soyons sortis d’affaire. En revanche, que nous ayons des regains de vigueur du marché plus ou moins notables (nous venons d’être témoins de l’un d’entre eux depuis le 9 avril), j’y souscris tout à fait, et il serait dommage de ne pas tenter de les mettre à profit –en évitant, en ce qui me concerne, de m’éparpiller et en privilégiant la qualité, car si je me suis trompé, eh bien, autant que ce soit avec des titres qui me rassurent et accroissent par là-même mon endurance. Ce que j’appelais dans mes précédents scribouillages, choisir ses batailles.
Vous désirez savoir ce que j’ai en portefeuille ? Je vais vous dire ce que je n’ai plus pour commencer. J’ai bazardé presque toutes mes positions américaines. Trois raisons à cela : une valorisation coquette pour des perspectives brouillées, un marché dont les performances sont dessinées puis redessinées du jour au lendemain par le politique (suivez mon regard) et la dépréciation du dollar souhaitée par l’administration américaine.
Attention, je ne me désintéresse pas du marché U.S. et je continue à suivre une bonne partie des sociétés dont nous parle Jean-Michel Salvador dans les Top Picks U.S., mais j’espère avoir l’occasion d’en remettre en portefeuille à des conditions beaucoup plus favorables lorsque la poussière sera retombée. Crowdstrike demeure dans mon collimateur, tout comme Meta, Netflix, Uber et Progressive Corp. Et si vous tenez à savoir celle que j’ai conservée, ce n’est autre qu’Ely Lilly. Du reste la pharmacie est un secteur qui a mes faveurs, bien qu’il ne soit pas dans les petits papiers du marché actuellement. Je m’attends au contraire à pas mal de volatilité grâce à l’ami Donald. Mais je vois plus loin que l’agitation actuelle. Je détiens donc à côté de Eli Lilly, quatre laboratoires européens (j’en avais cinq, mais j’ai coupé la plus petite ligne pour me refaire du cash). Je reviendrai sur le sujet une prochaine fois.
What else ?
Des télécoms… Cela ne fait pas rêver, mais séduit que j’étais par leurs qualités défensives et leur capacité à accroître leurs dividendes (Merci Jean-Michel Salvador !), j’avais accumulé de grosses lignes ces derniers mois durant les phases de déprime ponctuelles du secteur (il s’en produit toujours de façon régulière). Ils ont fini par être recherchés par le marché et j’ai pu ainsi prendre des profits totaux sur Telenor (+ 35 %) et partiels sur mes deux autres lignes dans l’optique de me refaire du cash et parce que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel et encore moins les télécoms. Je n’hésiterai pas à recharger au premier coup de mou significatif. Dans un marché que je ne vois pas faire +20 %, du 6 à 7 % de rendement du dividende m’intéresse.
Le rendement du dividende est du reste aujourd’hui quelque chose que je recherche, non pas de façon systématique, mais j’y prête attention. Il ne constitue pas le premier critère de sélection cependant. La soutenabilité dudit dividende et la capacité à le faire croître dans la durée priment avant toute chose. D’où la place privilégiée de la pharma qui au total doit peser pour près de 14 % de mon portefeuille.
En plus de tout cela, parmi la vingtaine d’autres titres restants, j’en détiens un certain nombre figurant dans nos diverses sélections ou évoqués dans les émissions réservées à nos abonnés, avec comme boussole de la plupart de mes choix, la qualité des modèles économiques, car dans la période actuelle, où l’incertitude règne, je veux plus que jamais ne pas douter.