Ne pas dépenser son argent à tort et à travers demande parfois pas mal de self-control. Un bon moyen de conserver la maîtrise de soi : avoir des gros billets plutôt que des petites coupures. Telle est la conclusion d’une étude comportementale de Raghubir et Srivastava sur un biais cognitif amusant que l’on désigne comme l’effet de dénomination.
Explications.
Beaucoup de facteurs influent sur nos décisions d’achat et d’investissement. Et le montant de l’argent engagé ainsi que de façon plus surprenante sa forme (par exemple petites coupures ou grosses coupures) affectent la manière dont nous allons l’utiliser ou le gérer.
En 2009, les chercheurs Raghubir et Srivastava ont donné un dollar de récompense à 99 étudiants de deux universités pour leur participation à une séance d’expérimentation. Ce dollar de récompense fut distribué aléatoirement à chacun des participants sous deux formes, soit un billet de 1 dollar, soit quatre pièces de 25 cents.
Deux possibilités leur furent offertes avec cet argent : soit ils pouvaient le garder, soit ils pouvaient le dépenser en bonbons et chewing-gums vendus aux mêmes prix que ceux de la cafétéria de leur université.
Une grande majorité (63 % précisément) de ceux qui avaient reçu 1 dollar sous la forme de 4 pièces de 25 cents dépensèrent tout ou partie de cette somme en friandises, tandis que seulement un quart de ceux qui avaient dans la main un billet de 1 dollar en achetèrent. D’autres études ont corroboré le phénomène.
On est moins enclin à dépenser lorsque l’on a des grosses coupures plutôt que des petites coupures, même si les montants disponibles au total sont rigoureusement identiques. C’est ce que l’on appelle l’effet de dénomination.
L’effet de dénomination chez les investisseurs
L’effet de dénomination joue aussi chez les investisseurs. Mais moins positivement. Il se manifeste par le fait qu’il est plus difficile pour eux de vendre une grosse position sur une action lorsque celle-ci est en moins-value latente que de vendre une petite position en moins-value latente.
Or, le montant engagé n’est pas le bon critère pour savoir s’il faut se couper un bras ou pas. Le critère pertinent est d’évaluer si la baisse de l’action est une opportunité à saisir pour vous renforcer ou si vous devez admettre que l’idée que vous vous faisiez de l’entreprise dans laquelle vous avez investi était erronée.
Cependant, ce biais ne se limite pas à cette seule altération de nos capacités en tant qu’investisseur. Il nous prive également de nos capacités de réflexion dès lors qu’un effet de contraste trop fort existe entre plusieurs choix. Prenons un moment pour expliciter cela.
Pour reprendre l’exemple du billet de 1 dollar et des 4 pièces de 25 cents, il s’agit de comparer deux unités de paiement dont la valeur totale a été exprimée différemment.
Dans le premier cas, nous avons 1 unité pour 1 dollar. Dans le second cas, nous avons 4 unités pour 1 dollar.
Mais que se passerait-il si nous avions introduit d’autres options, comme 1000 unités à 1/1000 de dollar chacune, ou encore 1 unité dans une autre devise, qui a une parité équivalente à 1 dollar ?
Il semblerait que de telles propositions, très contrastées avec les propositions initiales, soient généralement repoussées par notre cerveau, car l’effort de réflexion à produire est immédiatement et significativement plus important.
En effet, payer avec 4 pièces de 25 cents ou avec 1 billet de 1 dollar est plus facile, pour les deux parties d’une transaction, que de payer avec une devise étrangère ou avec mille pièces de 1/1000 dollar.
Comment cela se matérialise dans nos choix d’investissement ?
On parle plus couramment, dans le registre de l’investissement, d’effet de dénomination asymétrique, pour exprimer le contraste important qu’il peut y avoir entre les amplitudes de choix possibles et notre rapport à ces options.
Par exemple, lorsqu’un investisseur hésite entre l’entreprise A qui est une entreprise mâture dans le secteur alimentaire, une entreprise B qui œuvre dans les nouvelles technologies et qui a des difficultés financières, et une entreprise C, du même secteur que l’entreprise B, mais qui affiche de très bons résultats et des perspectives de croissance. Tout porte à croire que sous le prisme de cet effet de dénomination asymétrique, l’entreprise C présente toutes les caractéristiques de la meilleure option.
En économie comportementale, on parle même d’effet de leurre ou d’attraction plutôt que de dénomination asymétrique, pour souligner que notre rapport à un choix est fortement conditionné par le contraste qui existe entre les différentes propositions et par la mobilisation requise par notre cerveau pour déterminer quelle est la meilleure option.
Dans l’exemple cité plus haut, l’entreprise A est majoritairement éliminée par les candidats à qui la question est posée, alors que pourtant, aucun critère ne permet a priori de la dédaigner. Le choix des participants à l’expérience repose sur des a priori. Qu’en est-il de la croissance des bénéfices, de la valorisation, du dividende, des perspectives, du modèle économique de l’entreprise A ? On l’ignore.
En bourse, savoir trancher entre plusieurs options est essentiel. Mais choisir en mobilisant pleinement sa capacité de jugement est encore plus important. Il n’est rien de plus dangereux pour un investisseur que de prendre une décision par défaut ou une décision biaisée. Ce sont souvent celles que nous regrettons le plus.