Capitulation européenne : un dernier verre pour la déroute…

La langue française est merveilleuse. Elle regorge de tant de mots délicieux et de tournures savoureuses que l’on a que l’embarras du choix. Tenez, voudriez-vous parler de l’administration d’une défaite cuisante que jaillirait aussitôt dans votre esprit un joyeux bouquet d’expressions familières ou doctes : raclée, rouste, volée, déculottée, branlée ou bien encore se faire dérouiller, fesser, pulvériser, anéantir, détruire, éparpiller façon puzzle. On pourrait y passer la journée.
 
Il existe des défaites glorieuses et d’autres infamantes. L’UE a choisi la seconde option en version complète, avec supplément fouet et humiliation consentie.
 
Un beau sujet de perplexité pour les historiens des temps futurs, n’en doutons pas, qui débattront savamment de la raison pour laquelle l’accord du 27 juillet 2025 censé enterrer la hache de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et l’Union Européenne ne fut pas autre chose qu’une capitulation en rase campagne de cette dernière, capitulation qui enterra définitivement la chimère de l’Europe puissance –si tant est qu’on ait jamais voulu y croire.
 
Et pourtant ne nous disait-on pas que l’Europe était plus soudée que jamais face à l’horrible Mr Trump, qu’elle n’allait pas s’en laisser compter face à un rustre promoteur immobilier new-yorkais et qu’on allait voir ce que l’on allait voir…
 
Ma foi, on a vu.
 
Et on n’a pas été déçus.
 
Du grand art dans l’indignité molle. Ursula von der Leyen s’est-elle envoyée un petit coup de schnaps avant d’aller si bien négocier la déroute ? Car il en faut du courage pour avaler de telles couleuvres. Elle aura beau se mettre en quatre pour nous vendre du « win-win » ainsi qu’une visibilité retrouvée pour les entreprises européennes, on ne peut plus désormais en douter : l’UE a l’échine plus souple qu’un spaghetti surcuit. C’est pratique. Cela permet de mieux ramper.
 
Vous me trouvez dur ?
 
Payer pour être davantage dépendant… l’art du deal à la sauce UE.
 
L’UE est sortie des négociations une main devant une main derrière. Initialement, elle ambitionnait un accord à 0 % de droits de douane. Elle est soulagée de n’obtenir que… 15 %, le maître de « l’art du deal » ayant agité l’épouvantail d’une taxation à 30 %. « Beaucoup de gueule mais pas beaucoup d’estomac » à la Commission et dans les chancelleries européennes. Pour réfuter la rhétorique de Donald Trump, les négociateurs européens n’ont même pas su s’arcbouter sur l’évidence : à savoir que si l’on prend en considération les services et pas que les biens, la balance des échanges entre les deux zones est déjà équilibrée. 
 
Rien. 
 
Nada. 
 
Le vide intersidéral.
 
Mais ce n’est pas tout : en contrepartie de la mansuétude trumpienne que symbolise ce tariff « préférentiel » de 15 %, l’Europe doit passer à la caisse. Elle s’engage à investir 600 milliards de dollars aux États-Unis. À ce cadeau s’ajoute la promesse d’acheter aux Américains lors des trois prochaines années 750 milliards de dollars d’énergies fossiles (principalement du GNL), à des prix bien plus élevés que ceux pratiqués outre-Atlantique – le rapport est quasiment de 1 à 3.
 
Autrement dit, l’UE accepte de payer pour réduire la compétitivité de ses entreprises, favoriser leur délocalisation aux Etats-Unis, et développer sa dépendance technologique et militaire vis-à-vis de l’Oncle Sam, car oui, j’allais l’omettre, honte à moi, l’accord prévoit que l’Union européenne réalisera des investissements massifs dans des systèmes de défense américains. Et cela en parfaite contradiction avec sa prétendue volonté de s’autonomiser militairement au travers du plan Readiness 2030 qui vise ou visait à renforcer les capacités industrielles européennes en matière de munitions, de drones, de cyber-sécurité et de défense aérienne et porter la part de  la production militaire européenne dans les achats d’équipement et système à plus de 50 % d’ici 2030.
 
Un chef-d’œuvre, on vous dit. 
 
Une Berezina telle qu’Azincourt et Waterloo souffrent presque de la comparaison…
 
And the winner is… corporate America !
 
Que doivent conclure les investisseurs de cette débandade ? Les États-Unis — forts avec les faibles (l’UE, le Royaume-Uni, le Canada, le Mexique, le Japon), faibles avec les forts,  c’est-à-dire la Chine– ont raflé la mise et raffermi leur emprise économique sur leurs vassaux.
 
Certes, le consommateur américain paiera une partie de l’addition des droits de douane. Cependant quel triomphe pour corporate America ! Les entreprises américaines voient certains marchés extérieurs s’ouvrir davantage à elles, tandis que domestiquement, elles regagnent de la compétitivité-prix et capteront une partie de la masse des investissements étrangers. Dans ces conditions ne pas être exposé au marché actions américain devient compliqué à justifier en dépit des problèmes structurels qui affligent l’économie américaine.
 
En revanche, céder à la tentation de jeter les actions européennes avec l’eau du bain constituerait sans doute une très mauvaise idée.
 
Beaucoup d’entre elles ont su prospérer ces dernières années en dépit des vents de face (structurels) qu’elles essuient sur leur marché d’origine.
 
Gageons qu’elles sauront, une fois de plus, s’adapter. Elles ont déjà commencé à le faire… en cédant aux injonctions de la Maison-Blanche. Les grands groupes européens rivalisent dans l’annonce de plans d’investissement de dizaines de milliards de dollars outre-Atlantique et s’ils doivent devenir davantage américains qu’européens pour survivre ou maintenir leur rang, ils le feront sans vergogne. On ne peut pas leur en vouloir. La patriotisme économique ne se conçoit que dans un cadre de réelle souveraineté. 
 
Au sein du portefeuille Synapses, j’avais commencé ces dernières semaines à accroître l’exposition aux États-Unis. J’ai continué à le faire ces derniers jours, réintégrant Netflix en portefeuille, le titre ayant reflué d’une dizaine de pourcents par rapport à ses plus hauts. 
 
Une petite leçon de patience 
 
Jean-Michel Salvador dans ses derniers Top Picks US considérait qu’avec cette respiration s’ouvrait une fenêtre d’opportunité sur une valeur dont la croissance des bénéfices attendue demeure plus que sympathique. Je m’y suis engouffré, mais en gardant raison, puisque la position ne représente que 0,6 % du portefeuille. Le marché US en général et Netflix en particulier demeurent copieusement valorisés et donc sensibles aux moindres mauvaises nouvelles —nous n’oublions pas les risques que constituent d’une part l’environnement potentiellement stagflationniste que redoute la FED et d’autre part le sujet de la dette US car dans les marchés de flux de capitaux, le moindre effet papillon peut mettre à jour les fragilités et déclencher des secousses, ce dont nous ne sommes pas à l’abri.
 
Au total, les valeurs américaines ne pèsent que 7,4 % de l’ensemble du portefeuille Synapses. L’intention est d’augmenter graduellement cette proportion en fonction des opportunités qui se présenteront, mais sans en faire une fixette et en prenant bien soin de faire attention aux prix.
 
D’ailleurs, puisque je me référais un peu plus haut à Jean-Michel et ses valeurs Top Picks USA, signalons que 11 des 12 titres figurant actuellement dans sa sélection sont dans le vert, six d’entre eux affichent des gains compris entre 26,5 % et 272 %, deux titres rentrés fin avril s’adjugent entre 18 % et 31 %, et enfin les deux rentrés fin mai gagnent respectivement 8 % et 11 %. Un bilan plus que positif mais qui ne saurait faire oublier l’extrême volatilité du marché américain, en particulier dans sa composante technologique. 
 
Tous les titres de la sélection à l’exception d’un seul ont effectué des séjours plus ou moins durables en territoires négatifs avec des décrochages supérieurs à 15 % pour sept d’entre eux. Trois ont même connu des trous d’air de plus de 40 %.
 
Peu d’investisseurs sont capables de résister à de telles embardées et de se montrer suffisamment confiants dans leurs choix pour tenir le cap comme Jean-Michel l’a fait en dépit du scepticisme montant (et compréhensible) de nos abonnés à mesure que les performances se dégradaient. J’espère que le retour à des plus-values latentes démontrera une fois de plus que les performances se construisent dans la durée et sur des critères objectifs (en l’occurrence pour Jean-Michel, dynamique de l’activité, perspective de croissance des bénéfices et niveaux clefs de valorisation). 
 
La bourse exige résilience et persévérance tout comme de connaître ses propres limites car elles seront immanquablement testées. Je connais les miennes et si l’expérience m’a durci le cuir, elle m’a aussi appris que rien ne servait de se presser. D’où un accroissement de l’exposition aux valeurs américaines à pas de Sioux.
 
Du côté des valeurs européennes, je reste fidèle à l’approche qui est la nôtre au travers des différentes sélections Elite : priorité à la qualité. Quelles que soient les vicissitudes endurées, elle finit toujours en bourse par triompher.
 
Ce n’est qu’affaire de temps. 

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