Bourse : le rebond est-il vraiment durable ?

Donald Trump rouvre le jeu sur les droits de douane, les marchés financiers repartent à la hausse, les valeurs cycliques rebondissent… Mais la prudence reste de mise en bourse. Vincent Bezault interroge Laurent Lamagnère d’AlphaValue, sur le retournement du sentiment de marché, les risques géopolitiques, les rotations sectorielles et les conséquences macroéconomiques à anticiper pour investir plus sereinement sur les marchés actions.

Vincent Bezault : Laurent, on peut dire que le sentiment de marché s’est radicalement retourné depuis quelques jours. Cela a commencé, semble-t-il, le 9 avril, lorsque Donald Trump a assoupli sa position sur les droits de douane. Le rebond s’est accéléré avec l’annonce d’une désescalade temporaire dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Est-ce que cette amélioration peut durer ?

Laurent Lamagnère : Il est vrai qu’avec Donald Trump, on ne s’ennuie jamais. Même si l’on ne rit pas toujours, il est difficile de rester passif face à ses initiatives. Sur le fond, deux éléments clés émergent. D’une part, les négociations commerciales s’élargissent : après le Royaume-Uni et la Chine, d’autres accords pourraient être signés, notamment avec le Japon, la Corée, l’Inde ou encore le Pakistan. Cela contribue à la perception que les États-Unis ne seront pas aussi isolés qu’on le craignait, et donc que l’impact sur la croissance mondiale pourrait être atténué.
Mais il faut aussi garder en tête que, structurellement, la situation reste plus défavorable qu’avant. Les barrières douanières restent à des niveaux très élevés. Si, comme 99 % des économistes — à l’exception notoire de Peter Navarro — vous pensez que le commerce international soutient la croissance économique, alors la situation actuelle est objectivement plus dégradée qu’elle ne l’était il y a quelques mois.
Pourtant, les marchés ont fortement rebondi, avec des indices proches de leurs sommets historiques, alors même que les perspectives économiques restent fragiles. C’est une configuration paradoxale.

Bourse : une séquence haussière puissante mais fragile

Vincent Bezault : En effet, les chiffres sont parlants. Entre le point bas du 7 avril et la clôture du 12 mai, le CAC 40 a progressé de 16 %, l’Euro Stoxx 600 d’environ 18 %, le S&P 500 de 21 % et le Nasdaq de 26 %. Cela appelle peut-être une phase de consolidation ?

Laurent Lamagnère : Le marché pourrait encore progresser jusqu’aux résultats du deuxième trimestre, moment où l’on disposera de données plus tangibles sur l’impact des tensions commerciales sur les entreprises. En attendant, dans un environnement dominé par le sentiment, une prolongation de la hausse des indices n’est pas à exclure.
On observe en tout cas une rotation sectorielle. Les valeurs défensives — comme les utilities ou les télécoms — ont reculé, tandis que les valeurs cycliques, comme l’automobile, les semi-conducteurs ou l’emballage, ont surperformé. Cela reflète un net rebalancement dans les portefeuilles.

Macroéconomie et momentum : des signaux encourageants

Laurent Lamagnère : Le flux d’actualités économiques reste plutôt positif. Les derniers chiffres de l’inflation américaine sont inférieurs aux attentes, ce qui rassure sur l’orientation de la politique monétaire. De plus, la saison des résultats du premier trimestre s’est globalement bien passée, à l’exception de quelques valeurs de consommation américaines qui ont abaissé leurs guidances.
Notre outil de momentum illustre parfaitement le retournement : début avril, nous étions à -35, et en un mois, nous sommes remontés à +25. Ce genre de transition rapide est rare. L’indicateur technique que nous suivons, la ligne rouge, qui mesure le pourcentage de titres dans un cycle technique défavorable, est à un plus bas historique. Historiquement, ces situations peuvent durer, ce qui renforce le scénario d’une poursuite du rebond.

Récession : l’alerte s’éloigne mais reste en arrière-plan

Vincent Bezault : Le spectre de la récession américaine semble s’éloigner. Peut-on dire qu’il est derrière nous ?

Laurent Lamagnère : Au moment où Trump a annoncé ses tarifs douaniers, les probabilités de récession étaient estimées à 20 %. Elles ont bondi à 64 % le 8 avril. Mais elles sont retombées à 40 % après les gestes d’apaisement envers la Chine. Le sentiment de marché s’est donc nettement amélioré.
Cela dit, Trump reste imprévisible. Le secteur pharmaceutique, par exemple, est de nouveau dans sa ligne de mire.

La pharma sous pression : vers une régulation des prix ?

Laurent Lamagnère : Les États-Unis représentent à eux seuls 50 % du chiffre d’affaires mondial de la pharma. Mais ce marché repose sur des prix nettement supérieurs à ceux pratiqués en Europe. Le président américain menace désormais d’imposer la clause de la nation la plus favorisée, alignant les prix américains sur ceux de pays comme la France. Il envisage même d’importer des médicaments à bas coût pour peser sur les prix.
Le Congrès devra valider ces mesures, mais cette fois, les républicains sont derrière Trump. L’obstacle politique semble moins infranchissable que lors de son premier mandat. Malgré le lobby pharmaceutique, une avancée législative est possible.
D’après UBS, l’impact potentiel sur le résultat opérationnel des laboratoires les plus exposés pourrait atteindre 15 à 18 %. Mais certaines valeurs, comme Sanofi, seraient moins touchées. Le secteur pharma a déjà corrigé fortement en Bourse, et une grande partie du scénario négatif est déjà dans les cours.

Bourse : faut-il rester défensif ?

Vincent Bezault : Laurent, comment se positionner dans ce contexte ? Faut-il rester sur les valeurs défensives ou profiter du rebond des cycliques ?

Laurent Lamagnère : Le marché reprend clairement goût au risque. Mais compte tenu de la rapidité du rallye, je privilégierais une approche plus prudente à court terme. Nous pourrions assister à un pull-back technique, une phase de respiration. À moyen et long terme, certaines valeurs de qualité comme LVMH, qui ont beaucoup corrigé, peuvent redevenir attrayantes si on a l’horizon de les conserver plusieurs années.
En attendant, je privilégie les secteurs défensifs européens : banques, distribution alimentaire, télécoms. Ce sont des valeurs solides, peu glamour, mais avec une capacité de rendement élevée.

Géopolitique : le risque Inde-Pakistan menace-t-il les chaînes de valeur ?

Vincent Bezault : Parlons géopolitique. Les tensions entre l’Inde et le Pakistan pourraient-elles avoir un impact sur les marchés ?

Laurent Lamagnère : Absolument. Ce conflit n’a pas atteint un point paroxystique, mais les risques sont bien réels. L’Inde est aujourd’hui une plateforme stratégique pour de nombreuses entreprises européennes.
Chez AlphaValue, nous avons identifié plusieurs types de risques. Le plus important concerne les sociétés qui externalisent leurs services en Inde, comme Capgemini, dont la majorité des effectifs est basée sur place. Une escalade militaire perturberait la production informatique, avec des conséquences opérationnelles graves, comme on l’a vu en Ukraine.

Les banques sont également concernées. HSBC emploie 42 000 personnes en Inde, UBS 24 000, sans compter Deutsche Bank ou Barclays. Leurs activités de back office, cybersécurité et fintech pourraient être touchées.

Autres entreprises à risque : celles qui produisent ou font produire en Inde et qui exportent. On pense notamment aux secteurs de la pharmacie, de la chimie ou du textile. Certaines entreprises comme Zara ou Inditex dépendent de sous-traitants situés dans des régions sensibles comme le Gujarat, qui abrite 5 des 8 principaux ports indiens. Une attaque ciblée pourrait paralyser une partie de la supply chain mondiale.
Enfin, l’Inde reste un maillon essentiel de la production de principes actifs dans la pharmacie. Si un conflit majeur éclatait, il faudrait plusieurs mois pour mettre en place des capacités de substitution.

Bourse : une une stratégie prudente, flexible et réactive

Vincent Bezault : Tout cela plaide pour une certaine prudence.

Laurent Lamagnère : Exactement. Il faut conserver de la liquidité pour pouvoir intervenir rapidement. Être prêt à moyenner à la baisse si nécessaire, et surtout éviter de se laisser griser par un excès d’optimisme de marché.
Et ce n’est pas un bon signal que même un Rafale ait été perdu dans la région, a priori abattu par un chasseur chinois utilisé par les Pakistanais. Cela en dit long sur les risques que cette tension géopolitique peut entraîner à court terme.
Donc oui, le sentiment de marché s’améliore, mais la volatilité reste bien présente. Et l’impact des droits de douane sur l’activité des entreprises n’a pas encore livré tous ses effets. Nous aurons sans doute davantage de réponses avec les prochaines publications trimestrielles.
 

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