
J’ai laissé filer Rémy Cointreau, qui a gagné +18 % en six séances, entre secousses venues de Pékin et emballement du marché. Plutôt que d’embarquer, je suis resté spectateur d’un train lancé à toute allure. Et c’est là toute la leçon : en bourse, comment se rater sans l’ombre d’un regret ?
« La peur de manquer quelque chose nous fait souvent rater tout le reste. »
Esther Etty Hillesum, dans Une vie bouleversée : Journal 1941–1943
Il ne manque pas de lettres boursières ayant coutume de mettre en avant les succès réels ou imaginaires de leurs rédacteurs. L’objectif est cousu de fil blanc : susciter chez le lecteur l’envie et le désir de s’abonner à une version payante afin de profiter de la recette dudit expert qui lui permettra de s’enrichir sans effort.
Pas trop le genre de la maison. Et si vous espériez que ce serait le cas, alors chers lecteurs, laissez-moi vous le dire tout net, cette nouvelle édition de la Newsletter de Synapses va vous prendre sévèrement à contre-pied.
Comment passer à côté d’une occasion en or ?
Je m’en vais en effet vous raconter par le menu, la manière dont j’ai raté une occasion en or, un truc à vous donner envie de vous manger les doigts et vous flageller comme un pénitent du Vendredi saint à San Vicente de la Sonsierra (pour ceux qui se demandent de quoi je parle, imaginez une procession de bonhommes allant pieds nus, cagoulés, et se fustigeant consciencieusement le dos jusqu’au sang.)

Conversation avec le Chaman des charts
Tout a commencé avec un conseil de l’un de mes proches amis, gérant de son état.
Bien qu’il s’en remette dans ses choix d’investissement à l’analyse fondamentale, son grand truc reste tout de même l’analyse technique, discipline dans laquelle il excelle.
Cet ami de vingt-cinq ans que nous nommerons par coquetterie le Chaman des charts possède l’art consommé de trouver les bons niveaux d’intervention. Il n’est pas infaillible, loin s’en faut. Il lui arrive même de passer à côté de valeurs dont il sous-estime le potentiel haussier – c’est sans doute son plus gros défaut en tant que chartiste. Néanmoins, lorsqu’il sent des coups, il le fait remarquablement bien. Depuis les deux décennies que nous nous connaissons, j’ai maints exemples à l’esprit où il m’a littéralement bluffé en m’annonçant que le moment était venu de charger telle valeur ou tel secteur pour lequel ses indicateurs techniques se mettaient à clignoter comme les voyants de la salle de contrôle de la centrale de Tchernobyl.
A la santé de Rémy !
Le 2 juillet, il me transmettait un graphique en données mensuelles sur 30 ans de Rémy Cointreau. Son cours était retombé sur un support vieux de plusieurs décennies. Son commentaire : “Je pense que c’est le moment d’y aller.”
Il n’était pas difficile de me remémorer certains des faits d’arme du Chaman des charts.
Il m’avait dit être convaincu, en février 2025, bien avant que cela ne se confirme, hélas, que Novo Nordisk, qui cotait alors près de 600 DKK, finirait par descendre aux alentours des 400 DKK, ce qui ne manqua pas d’arriver quelques mois plus tard. Au printemps, il avait également bien identifié – plusieurs semaines à l’avance, ai-je besoin de le préciser – le niveau de 90/91 dollars auquel NVIDIA était selon lui voué à retourner, ce qui devait à l’en croire permettre de jouer confortablement le leader des puces pour I.A. Encore une fois… bien vu !
Tout cela pour dire que lorsque son analyse technique le rend sûr de lui, il n’est pas mauvais de l’écouter.
L’art de rester à quai
Aussi ne serez-vous pas étonnés, amis lecteurs, d’apprendre que j’ai caressé l’idée de prendre une ligne de Rémy Cointreau pour le portefeuille Synapses.
La veille de ce fameux 2 juillet, le titre avait déjà commencé à rebondir de ses plus bas de juin clôturant en hausse de 7,34 %. J’ai remis le nez dans les analyses fondamentales et les chiffres du groupe de spiritueux. Après plusieurs heures de réflexion, j’ai décidé de ne pas y aller. Le titre a alors clôturé sur un gain supplémentaire de 2,80 %.
Après 10 % de hausse en deux séances, les prises de bénéfices devenaient probables, cependant, le lendemain, 3 juillet, Rémy Cointreau a fait du surplace, les vendeurs ne parvenant pas à reprendre la main.
A la veille du week-end, la Chine a annoncé instaurer un droit antidumping de 34,9 % sur les importations de brandy en provenance de l’UE pour une période de cinq ans à compter du 5 juillet 2025. Mais il a été précisé par Pékin que les groupes consentant à des hausses de prix significatives seraient exemptés de ces droits.
Rémy Cointreau a dans un premier temps dévissé perdant plus de 7 % en séance avant de repartir de plus belle et clôturer en progression de 2,18 %. La semaine suivante fut marquée par une nouvelle accélération du titre qui s’est entre lundi 7 et jeudi 10 juillet envolé de +15,7 %.
Au bas mot, je suis passé à côté d’une plus value potentielle de 18 % en six séances.
