Dans cette première partie de l’entretien entre Vincent Bezault et Vincent Mortier, directeur des gestions d’Amundi, cap sur les États-Unis où les marchés actions volent de record en record.
Au programme : un grand panorama de la macroéconomie américaine et de la bourse, entre fin du quantitative tightening, déficit budgétaire hors norme et bulle alimentée par l’intelligence artificielle, mais aussi des clefs pour gérer au mieux vos investissements.
La fin du QT : un soutien monétaire déguisé ?
Vincent Bezault : La Réserve fédérale américaine vient d’annoncer la fin de son quantitative tightening (QT), c’est-à-dire la réduction de son bilan. Certains y voient le signal d’un quantitative easing passif, autrement dit un apport de liquidité au marché, qui soutiendrait les actifs risqués. Ce serait plutôt favorable aux actions américaines, mais les valorisations sont déjà très élevées. On a donc une tension entre le soutien de la Fed et la cherté du marché. Comment arbitrer entre ces deux forces ?
 
Vincent Mortier : En effet, la Fed a mis fin à son quantitative tightening. Elle a même ajouté une baisse de 25 points de base de ses taux directeurs, tout en adoptant une communication plus évasive sur la suite. Tout cela s’inscrit dans une politique plus large, cohérente, qui a des implications bien au-delà des marchés financiers. Le premier enjeu, c’est l’achat de la dette américaine.
Nous sommes dans un contexte où les États-Unis affichent encore un déficit budgétaire colossal, malgré les revenus réguliers des droits de douane. Ces derniers rapportent plus de 300 milliards de dollars par an.
Vincent Bezault : Ce qui n’est pas rien.
Vincent Mortier : Non, mais à l’échelle du déficit américain, cela reste marginal. Cela aide, certes, mais ne résout rien. Le déficit demeure supérieur à 6 ou 7 % du PIB, et la dette publique continue d’augmenter à un rythme soutenu. L’objectif prioritaire du Trésor américain et de l’administration, c’est de contenir les taux d’intérêt pour éviter que les charges d’intérêts ne deviennent insoutenables.
Pour atteindre cet objectif, un arsenal complet est mobilisé : action concertée du Trésor, de la Fed et des banques. Le Trésor a même fixé un objectif clair : maintenir le rendement du 10 ans américain autour de 4 %. Et tout est fait pour y parvenir. Si le taux venait à s’écarter, la Fed interviendrait, tout comme le Trésor, qui peut acheter directement des titres sur le marché. Quant aux banques américaines, elles ont vu leurs ratios de liquidité assouplis, leur permettant de détenir plus facilement des obligations souveraines.
Par ailleurs, le gouvernement a choisi de raccourcir la maturité moyenne de ses émissions : moins de dettes à 10 ou 20 ans, davantage à 5, 3 ou 1 an, voire moins. Ces T-Bills à très court terme ont vu leur part exploser. L’avantage est simple : les taux courts sont administrés par la Fed, qui garde la main sur leur niveau.
Imaginons que la Fed abaisse ses taux à 3 % l’an prochain, comme nous le prévoyons : l’État américain, qui se refinançait encore récemment à 4,5 % sur le 10 ans, se refinancerait alors à 3 % sur le court terme. Cela réduit le coût de la dette, mais repousse le risque à plus tard.
C’est pour cette raison que la prise de contrôle de la Fed est devenue un enjeu stratégique majeur : elle est le levier indispensable pour permettre à l’État fédéral de continuer à vivre avec un déficit aussi élevé.
Bourse : des marchés sous perfusion ?
Vincent Bezault : Les marchés actions, eux, semblent apprécier ces taux plus bas…
Vincent Mortier : Oui, les marchés adorent les taux bas, et ils ont raison : cela facilite les conditions financières. Mais il faut garder à l’esprit que la priorité n’est pas de faire monter les marchés : elle est de gérer le déficit et de stabiliser le financement de la dette.
À court terme, les États-Unis bénéficient d’un luxe exceptionnel : tout le monde semble y trouver son compte. Les investisseurs obligataires profitent de la hausse du prix des titres à mesure que les taux reculent, les entreprises accèdent à un crédit plus facile, et la Fed garde la main sur le jeu monétaire.
Mais cette situation ne tient que tant que l’inflation reste contenue.
Vincent Bezault : On reviendra sur le sujet.
 
Vincent Mortier : La bataille contre l’inflation est loin d’être gagnée…
 
IA : une croissance à crédit ?
Vincent Mortier : le marché actions accueille favorablement ce type de décision, tout comme la visibilité qu’elle apporte. La trajectoire paraît désormais claire, ce qui rassure : il n’y aura pas de problème de refinancement pour l’État, et la politique budgétaire restera expansionniste.
Résultat : l’économie américaine est aujourd’hui surdopée. Entre un déficit budgétaire massif, des baisses d’impôts reconduites ou amplifiées, et un cycle d’investissement qui est reparti à la hausse. Depuis six à neuf mois, les chiffres d’investissement atteignent des sommets, notamment autour de l’intelligence artificielle (IA). Les montants engagés sont vertigineux, qu’il s’agisse des puces, des data centers ou des infrastructures liées à cette révolution numérique.
 
Vincent Bezault : Et il faut aussi évoquer l’électrification, parce que le réseau américain est toujours défaillant.
 
Vincent Mortier : Exactement. Le réseau électrique américain est pour le moins déficient, et sa modernisation constitue un enjeu stratégique majeur. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Même si Donald Trump promet de ramener à deux ans le délai d’approbation des nouveaux projets nucléaires (contre cinq ou six auparavant), cela reste long.
Ce qui est frappant, c’est qu’en observant la croissance américaine du premier semestre – ou des neuf premiers mois – on constate qu’elle est un peu meilleure que prévu, sans être spectaculaire. Et quand on analyse ses moteurs, on découvre qu’elle repose sur deux seules sources.
La première, ce sont les investissements liés à l’IA, qui expliquent la majorité de la croissance récente. Ces investissements sont amortis comptablement sur plusieurs années – trois, cinq, sept, parfois dix –, mais le cash-flow sort tout de suite. Cela pèse sur la trésorerie des entreprises.
Pour financer ce décalage, elles recourent à des crédits multiples, qui gonflent l’endettement global. La croissance de l’IA est donc, en réalité, une croissance à crédit.
La seconde source de croissance, c’est la consommation, mais elle ne vient que des 10 % à 20 % des ménages les plus riches. Le reste de la population ne consomme plus davantage, tout simplement parce qu’elle ne le peut plus.
Un effet richesse trompeur ?
Vincent Bezault : On a donc bien un clivage économique majeur.
Vincent Mortier : Oui. C’est ce qu’on appelle l’effet richesse. Les Américains les plus aisés, ceux du haut de la distribution des revenus, se sentent beaucoup plus riches, à raison : ils détiennent l’essentiel des actifs immobiliers, des actions et des cryptomonnaies. Ces actifs ont vu leur valeur grimper fortement – au moins sur le papier. Et ce sentiment de richesse les pousse à consommer davantage, créant un cercle vertueux pour le haut de la pyramide.
Mais c’est aussi une bulle spéculative qui se nourrit d’elle-même. Depuis cinq ans, tout investissement a été profitable, voire très rentable. Chaque baisse de marché a été rapidement rachetée. Résultat : le marché s’emballe.
Tout le monde veut participer à la fête. Les investisseurs particuliers, les fonds, les sociétés… Tous profitent de la dynamique, persuadés que cela continuera.
C’est une euphorie rationnelle tant que la musique joue. Mais derrière, la fragilité demeure.
Bulle boursière : jusqu’où la spéculation peut-elle aller ?
Vincent Bezault : Il arrive un moment où on n’a plus d’acheteurs. On sait comment ça se passe.
Vincent Mortier : Nous n’en sommes pas encore là. Aujourd’hui, les acheteurs marginaux viennent de trois horizons.
D’abord, les Américains qui réallouent une partie de leur épargne de précaution vers des actifs risqués, notamment via leurs plans d’épargne retraite 401(k). On l’observe : les fonds obligataires ont baissé en encours quand les fonds actions ont progressé.
Deuxième source : après le choc d’avril-mai, marqué par un gros trou d’air sur les marchés et un dollar affaibli, les investisseurs asiatiques sont revenus. Depuis juillet, la situation s’est normalisée ; le dollar s’est stabilisé et ces flux étrangers contribuent à soutenir les marchés.
Enfin, troisième catégorie : beaucoup d’investisseurs américains s’endettent pour acheter. Et c’est là que la situation devient préoccupante.
 
Le moteur invisible de la flambée des marchés
On assiste à une explosion de l’effet de levier. Certains achètent à crédit, d’autres utilisent des produits dérivés ou des ETF à levier – fois 2, fois 3, parfois même fois 5. Les montants investis via ces instruments ont énormément augmenté, et continuent de croître.
Même les très grandes capitalisations sont touchées : certaines valeurs se traitent chaque jour avec des volumes supérieurs à l’ensemble du marché européen. On est face à une mécanique spéculative d’une ampleur inédite.
Les investisseurs particuliers au cœur du marché américain
Vincent Bezault : On observe aussi une part croissante des investisseurs particuliers sur les marchés américains.
Vincent Mortier : Exactement. Leur présence a beaucoup augmenté, à la fois en direct, via des courtiers en ligne, et en indirect, à travers les fonds d’investissement et les ETF détenus dans leurs comptes de retraite.
La participation des fonds de pension, assureurs ou hedge funds est restée stable ; en revanche, les particuliers représentent désormais l’essentiel des flux d’achat marginaux.
Aux États-Unis, investir en actions est presque culturel : tout Américain disposant d’un peu d’épargne a un compte de trading. En France, c’est différent ; la culture boursière reste limitée. Mais outre-Atlantique, le marché est alimenté par une multitude d’investisseurs individuels persuadés que la hausse est éternelle.
 
Marché en bulle : quand faut-il sortir ?
Vincent Bezault : Le tableau que tu décris donne l’impression d’une bulle bien formée. Quand on est dans une bulle, la question n’est pas de savoir s’il faut y être — il vaut mieux y participer — mais quand en sortir. Et là, j’ai l’impression qu’on est dans un train lancé à pleine vitesse. La fin du QT va encore accélérer la locomotive. On ne voit pas encore la gare, mais il faudra sauter avant la butée.
Vincent Mortier : C’est une excellente image. Ce marché peut encore monter ; je ne pense pas que 2025 verra un gros accident. Cela rappelle la période 1999-2000 : tout le monde parlait déjà de bulle en 1998, et pourtant les indices ont continué à grimper pendant plus d’un an avant de s’effondrer.
Même chose pour 2006-2008. Avoir raison trop tôt, c’est toujours frustrant. Tout dépend de son horizon de placement.
Pour un investisseur long terme, rater un peu de performance pour éviter un krach n’est pas une mauvaise stratégie.
Mais pour un fonds spéculatif, chaque trimestre compte : il faut être dans le marché tant que la musique joue.
Pour l’épargnant moyen ou long terme, prendre ses profits maintenant et les placer dans des fonds monétaires ou des supports peu risqués est raisonnable.
Presque tous les marchés mondiaux – du Japon aux États-Unis – se trouvent à des niveaux historiques. Seule la Chine fait exception. Les crédits sont chers, les valorisations élevées.
Il y a, selon moi, 100 % de probabilité qu’à horizon de 12 à 24 mois, les marchés soient plus bas qu’aujourd’hui.
 
Stratégie d’investissement : une question de discipline
Le marché ne monte jamais en ligne droite. Avoir du cash disponible pour racheter lors d’un repli, comme en avril dernier, est une stratégie prudente et efficace.
Mais encore faut-il avoir les nerfs solides. Acheter quand tout baisse reste contre-intuitif. Beaucoup d’investisseurs attendent trop, craignant de nouveaux replis, et ratent ainsi le point bas.
La clé, c’est la discipline : par exemple, décider de réinvestir 50 % du cash à -10 % et les 50 % restants à -20 %, puis s’y tenir.
Avec des ordres programmés, cette méthode peut être très performante.
Aujourd’hui, les fonds monétaires rapportent autour de 2 % à 2,5 %, parfois plus. On couvre donc l’inflation. Ce n’est plus l’époque des taux négatifs : conserver du cash n’est plus un non-sens.
 
Gestion du risque, grande oubliée des investisseurs particuliers ?
Vincent Bezault : Beaucoup d’investisseurs particuliers oublient que la gestion du risque compte plus que la performance.
Vincent Mortier : Absolument. Sur un marché financier, ce qui compte d’abord, c’est de survivre. La performance ne vient qu’ensuite.
Et pour ceux qui achètent des titres individuels, la première question à se poser est : « Est-ce que je comprends ce que j’achète ? »
Cela paraît évident, mais beaucoup ne savent pas comment l’entreprise gagne de l’argent, ni quelle est sa position concurrentielle.
Or certaines entreprises atteignent des valorisations extravagantes, sans que leur modèle économique soit clair.
 
L’intelligence artificielle : entre promesses et illusions
Vincent Mortier : Prenons l’exemple de l’intelligence artificielle. Je ne dis pas que la technologie n’est pas intéressante – elle l’est. Mais il y aura des gagnants et des perdants, et pas seulement sur le plan économique : sur certains types d’emplois, l’impact est déjà négatif.
Vincent Bezault : On le voit déjà aux États-Unis, chez les développeurs notamment. Certaines entreprises, comme Chegg, dans l’éducation en ligne, ont annoncé des licenciements massifs.
Vincent Mortier : Exactement. Amazon l’a fait aussi de manière très massive
Vincent Bezault : Il se dit aussi que les coupes chez Nestlé procèdent pour partie de l’IA
Vincent Mortier : Sur la chaîne de valeur de l’IA, il faut distinguer plusieurs maillons.
Les acteurs qui développent les outils de recherche – OpenAI, DeepSeek, Mistral – vont devoir affronter une concurrence féroce. En Chine, des dizaines d’outils sont déjà disponibles, souvent gratuits. Monétiser durablement ces technologies sera très difficile.
Ensuite viennent les data centers. Tout le monde veut bâtir les siens. Certains dirigeants, comme Mark Zuckerberg, disent ouvertement : « Je suis prêt à perdre 200 milliards de dollars pour rester dans la course. »
Cela montre bien le niveau de compétition : dépenser sans limite pour ne pas être dépassé.
Mais pour les actionnaires, c’est une autre histoire. Quand le patron d’une grande entreprise explique qu’il est prêt à détruire de la valeur, il faut l’écouter.
Les investissements massifs dans les centres de données rappellent les années 2000, à l’époque des réseaux télécoms 2G-3G, quand tout le monde construisait des infrastructures à perte. Les opérateurs, comme France Télécom, ont atteint des valorisations stratosphériques avant de s’effondrer.
Vincent Bezault : Oui, France Télécom valait 250 € en mars 2000, puis moins de 10 € quelques années plus tard.
Vincent Mortier : Exactement. Et aujourd’hui, il y a plus d’investissements en data centers qu’en immobilier de bureaux aux États-Unis. Ce sont des montants colossaux. Mais ces infrastructures contiennent des puces à haute valeur ajoutée, elles-mêmes exposées à une obsolescence rapide.
 
Data centers, puces et IA : les nouveaux symboles d’une survalorisation mondiale
Vincent Bezault : Ces puces peuvent elles-mêmes être frappées par l’obsolescence.
Vincent Mortier : Bien sûr. C’est le sens même du progrès technologique. Dans cette chaîne de valeur, le cœur – les grands acteurs de l’IA – est aujourd’hui survalorisé.
En revanche, les extrémités – énergie, composants, entreprises qui utiliseront l’IA pour améliorer leur productivité – offrent encore de la valeur que le marché n’a pas pleinement captée.
Nous sommes donc plus intéressés par ces segments périphériques que par le cœur du réacteur.
Acheter les hyperscalers à leurs niveaux actuels ne nous semble pas justifié : le business case n’est pas évident.
Investir dans l’IA : mieux vaut la périphérie que le cœur du réacteur
Vincent Bezault : Donc, mieux vaut acheter la périphérie de l’IA que son cœur ?
Vincent Mortier : Exactement. Les fournisseurs et les utilisateurs finaux tireront sans doute plus de valeur que ceux qui se battent au centre de la chaîne.
Semi-conducteurs : la nouvelle bataille stratégique mondiale
Vincent Bezault : Les semi-conducteurs tirent leur épingle du jeu. Certains disent que c’est la matière première du monde à venir. Mais n’assiste-t-on pas à une suroptimisation des attentes ?
Vincent Mortier : C’est un secteur fascinant, en perpétuelle mutation. On sous-estime la vitesse des ruptures technologiques. Ce qui semble certain aujourd’hui peut être remis en cause demain.
On sous-évalue aussi la volonté stratégique de certains pays de rattraper leur retard, en particulier la Chine, mais aussi la Corée, le Japon et, dans une moindre mesure, l’Europe.
Tous veulent maîtriser cette technologie, car elle est devenue stratégique.
L’ordinateur quantique arrive : on parle désormais de déploiements commerciaux d’ici deux à trois ans. Si cela se confirme, cela bouleversera tout.
Vincent Bezault : Les Chinois avancent vite.
Vincent Mortier : Très vite. Et cela pourrait créer un véritable bain de sang parmi les gagnants actuels.
 
Portefeuille : entre rotation sectorielle et maîtrise du risque
Vincent Mortier : Quand on investit, il faut se rappeler qu’une valeur superstar peut devenir pestiférée en quelques années.
Avec un tel niveau de risque, le rapport rendement/risque devient discutable.
Vincent Bezault : On a le sentiment que, malgré la puissance du thème IA, mieux vaut rester sélectif.
Vincent Mortier : Oui. L’IA est un thème structurant, peut-être même civilisationnel, mais nous avons déjà connu cela avec l’Internet.
À l’époque aussi, on parlait de révolution, et cela s’est avéré vrai. Mais cela n’a pas empêché un krach du capital.
Il faut donc être exposé, mais pas concentré. Mieux vaut jouer la périphérie, diversifier, et ne pas oublier les secteurs délaissés.
La diversification reste la clé. Trop d’investisseurs, même sophistiqués, sont surconcentrés sur 5 à 15 valeurs. C’est une folie.
Il faut diversifier par secteur, géographie et devise. La concentration est l’ennemie de la performance durable.
 
Ne pas tomber dans le piège de la fausse diversification
Prenons les ETF MSCI World, très populaires. Beaucoup d’investisseurs croient qu’ils sont diversifiés. En réalité, 75 % de l’exposition est américaine, et l’essentiel concentré sur une dizaine de valeurs.
Ils achètent donc sans le savoir un portefeuille ultraconcentré sur les grandes technologiques américaines.
Il faut donc aller regarder ce qu’il y a sous le capot, identifier les corrélations cachées, et comprendre que la diversification supposée n’est pas toujours effective.
 
Technologie : quelle part accorder dans son allocation d’actifs ?
Vincent Bezault : Donc, combien de technologie faut-il intégrer dans un portefeuille, sans pour autant déroger au principe de diversification ?
Vincent Mortier : Déjà, il faut rappeler que la technologie n’a pas de définition unique. C’est un secteur tentaculaire, composé d’une multitude de sous-segments. Tout dépend de ce que l’on considère comme « tech ».
Prenez la biotechnologie : certains l’y incluent, d’autres non. Les plateformes Internet aussi : Amazon, par exemple, est-ce de la technologie ? Certains diront oui, d’autres non, car c’est avant tout de la logistique et de la distribution, même si le cloud y joue un rôle important.
Dans les indices américains, certaines valeurs classées en « technologie » pourraient tout aussi bien relever des médias ou de l’information. Bref, la frontière est floue.
Ce qui est indéniable, en revanche, c’est que la technologie est devenue dominante en termes de revenus et de résultats. Il y a un effet de réseau et un effet de domination qui permettent à quelques grands acteurs de dégager des marges exceptionnelles.
Regardez Apple : ce ne sont plus ses téléphones qui tirent la croissance, mais ses services, sur lesquels elle réalise 75 % de marge. C’est là que se trouve désormais le principal levier de rentabilité.
On peut dire que c’est encore de la technologie, mais ce sont surtout des services numériques ; à l’inverse, la fabrication de téléphones relève davantage de l’industrie. La frontière entre les deux est donc poreuse.
Pour répondre à ta question, dans un portefeuille d’investissement, la technologie doit représenter au minimum un quart de l’allocation. Cela ne doit pas aller jusqu’à la moitié ou les deux tiers, comme le suggèrent certains indices, mais en avoir trop peu serait une erreur.
L’essentiel est de bien sélectionner ses positions : diversifier entre les sous-segments et les zones géographiques, car les vainqueurs d’aujourd’hui ne seront pas nécessairement ceux de demain.
 
Une règle qu’aucun investisseur ne doit oublier
Vincent Bezault : Et quand on fait du stock-picking, il ne faut pas tomber amoureux de ses valeurs.
Vincent Mortier : Exactement. La rotation au sein de la tech est très rapide.
En vingt ans, une seule entreprise a toujours figuré dans le top 10 américain : Microsoft. Tous les autres ont disparu du classement à un moment ou à un autre. Le passé ne garantit rien. À cinq ans, la hiérarchie change totalement. Il faut donc éviter la complaisance, surveiller ses positions et rester agile.
 
La Synthèse de Vincent
Avant d’aborder la relation Chine–États-Unis, Vincent Mortier dresse dans cette première partie de l’entretien, le constat d’une économie dopée à la liquidité, où la Fed entretient la flamme d’un marché qui refuse de ralentir.
Selon Vincent Mortier, les actifs américains bénéficient aujourd’hui d’un véritable alignement des planètes, porté par la fin du quantitative tightening et un environnement monétaire redevenu favorable. Les marchés actions poursuivent leur ascension, soutenus par une politique budgétaire toujours expansionniste et une économie dopée à la liquidité.
Mais cette mécanique, aussi puissante soit-elle, n’est pas sans risque. La machine s’emballe, prévient-il, et la vigilance s’impose. À ses yeux, il existe une probabilité de 100 % que les marchés affichent des niveaux plus bas dans les 12 à 24 prochains mois. D’où la nécessité, pour les investisseurs, d’adopter une gestion du risque disciplinée : dégager du cash, se tenir prêt à le redéployer au moment opportun.
Sur le plan de l’allocation d’actifs, Vincent Mortier que la Tech devrait représenter environ 25 % d’un portefeuille diversifié.
Les valeurs de qualité qui constituent les Sélections Elite sont toujours délaissées. Nous continuons à y voir une opportunité, car le marché peut raconter ce qu’il veut, in fine la qualité finit toujours par payer.


