Toujours acheter un marché quand il est cher ?

Dans la configuration actuelle des marchés, qui recentrent tous les flux autour de l’intelligence artificielle, de l’automatisation et des technologies de la robotisation, la crainte d’une exagération boursière est largement partagée. Et lorsque se combinent  valorisations élevées et modes de financement alambiqués (Cf les commandes d’OpenAi financées par ses propres fournisseurs), on peut se convaincre qu’à ces prix, le risque de krach est tangible. Mais en l’espèce, même en dépassant la simple question de la bulle de l’IA, la question de fond demeure : faut-il investir lorsque les marchés sont chers, voire très chers ?


“Acheter au top” semble absurde… jusqu’à ce qu’on regarde les données

Intuitivement, acheter quand le marché est “au plus haut” paraît suicidaire.

On pense spontanément que “si c’est au plus haut, ça va forcément baisser”, ou encore qu’“il vaut mieux attendre une correction pour acheter à bas prix les sociétés solides”.

Ces deux assertions sont séduisantes… mais pas soutenues par les faits.

Et c’est tout le problème.

Acheter au top n’est pas, statistiquement, une mauvaise idée. C’est même l’inverse.

Sur des périodes longues, et en se focalisant sur les indices larges tels que le S&P 500, acheter au plus haut historique est l’une des stratégies les plus performantes.

Une publication de RBC Global Asset Management, “Investing at All-Time Highs”, note qu’entre 1950* et 2025, le marché actions américain S&P 500 a inscrit plus de 1 325 records historiques, soit environ 17 records par an.

Cette fréquence élevée montre que la crainte d’investir à un plus haut n’est pas rationnelle si elle repose uniquement sur la peur d’un retournement immédiat. Les données montrent qu’un sommet est bien souvent suivi… d’un autre sommet, parfois très vite.

S’interdire d’investir lors de ces nombreux plus-hauts reviendrait donc à sortir et entrer du marché en permanence, avec le décalage psychologique que cela implique. Ajoutez les coûts de transaction et le risque de rater les meilleures journées, et l’on obtient une stratégie structurellement perdante.

À long terme, rester investi – y compris à des niveaux records – est plus performant que tenter d’anticiper chaque sommet.

Cela confirme l’idée centrale : le plus important est d’être investi. La “bonne occasion” compte peu. L’occasion ratée, elle, coûte très cher.

Nous l’avons déjà évoqué, mais il est utile d’insister : rater les meilleures journées du marché est ce qui pénalise massivement les rendements. J.P. Morgan Asset Management, entre autres, le rappelle chaque année dans son Guide to the Markets.

Les chiffres qui font mal

La majorité des rendements long terme proviennent… d’achats effectués proches des ATH, c’est-à-dire des sommets historiques.

Ce n’est ni un mythe ni un argument aguicheur.

C’est une réalité observable en croisant les données de J.P. Morgan, de Vanguard, du modèle Fama-French, et des séries historiques de prix du CRSP (Center for Research in Security Prices).

1 an après un achat du S&P 500 à l’ATH, la performance est positive dans 70 à 75 % des cas.

Sur 3 ans, on grimpe à près de 80 % de cas positifs.

Et plus l’horizon s’allonge, plus la probabilité converge vers le quasi-100 %.

Statistiquement parlant, si dans 75 % des cas la performance est positive en année N+1, et si les marchés inscrivent en moyenne 17 records par an, alors investir sans regarder les prix n’est pas une ineptie : c’est une stratégie.

Pourquoi le mythe du All Time High s’effondre ?

En 2018, Vanguard publiait un document intitulé Myth of the All-Time High qui apportait un éclairage décisif : les performances futures ne dépendent pas du fait d’acheter ou non au sommet.

Car oui, une année N+1 positive ne signifie pas que les investisseurs sont revenus à l’équilibre. Subir un krach puis engranger un modeste +3 % l’année suivante ne compense rien si ce schéma se répète. À long terme, c’est même destructeur. Et c’est précisément sur ce point que Vanguard nous éclaire.

La conclusion de son rapport est limpide : il n’existe aucune différence statistiquement significative entre les rendements futurs observés après un plus haut historique et ceux observés à n’importe quel autre moment du marché.

“Our analysis shows no statistically significant difference in future stock returns following an all-time high compared with any other point in time.”

Vanguard Investment Strategy Group, “The Myth of the All-Time High

Autrement dit : encaisser le krach, rester investi et tenir dans le temps génère autant de performance – voire davantage – que tenter de l’esquiver pour revenir plus tard.

La fuite, même lorsqu’elle semble rationnelle et méthodique, n’est donc probablement pas la voie de l’investisseur performant.

L’explication profonde peut être débattue, mais l’une des plus solides est la suivante : le marché actions suit une trajectoire de croissance, pas une oscillation neutre.

À bien des égards, son évolution ressemble à la trajectoire d’un être humain.

Dans son enfance, le marché explore : il expérimente sans contrainte, teste des idées, imagine des futurs possibles, comme un enfant qui multiplie les essais sans se soucier de leur viabilité. C’est l’ère des innovations foisonnantes, prometteuses mais sans modèle économique clair.

Vient ensuite l’adolescence : une période de croissance aux contours chaotiques, où le marché se cherche. Il hésite, il sur-réagit, il doute. Une innovation majeure a prouvé son concept, mais elle doit encore démontrer qu’elle peut devenir une industrie durable. Beaucoup d’espoirs, encore peu de marges.

Puis arrive l’âge adulte : le marché trouve enfin la thèse parfaite – le bon produit, une utilité observable et un équilibre valeur/prix. Les innovations s’alignent avec la demande, les modèles deviennent rentables, les marges se stabilisent. C’est la phase où une technologie cesse d’être une promesse pour devenir un pilier économique : le ferroviaire, le pétrole, Internet post-2003, le cloud post-2010, l’IA aujourd’hui.

Sur le long terme, les marchés ne reflètent ni les excès des start-ups ni les paniques des investisseurs. Pas plus qu’une crise d’adolescence ne prédit la vie d’adulte. Les actions matérialisent ce vers quoi les sociétés tendent : productivité, innovation, marges croissantes et amélioration des conditions de vie.

Ainsi, le top d’aujourd’hui n’est bien souvent que le point bas relatif de demain.

Acheter les tops, une stratégie infaillible ?

Comme toute martingale qui se respecte, cette stratégie fonctionne relativement bien, mais pas tout le temps.

Il existe plusieurs scénarios qui invalident complètement la proposition : 

la bulle macro-systémique : si vous aviez traversé 1929 en ayant en tête que les tops seraient réguliers, vous auriez mis des décennies à vous en remettre.
les chocs exogènes : la crise pétrolière de 1973 et le krach de 2008 en sont des exemples manifestes. Ils ont rebattu les cartes, cassé des modèles et généré de la friction entre les acteurs de la place, sans même parler du rôle du politique pris entre son devoir d’agir et la nécessité de complaisance avec la place économico-financière.
la concentration extrême : pour que la stratégie des tops soit efficace, il faut que le marché soit liquide et profond. Ça ne fonctionne donc pas partout, et pas avec tout le monde.

Cela étant dit, même si la bulle-macro-systémique et les chocs exogènes sont des configurations relativement fréquentes, contrairement à la dernière qui ne concerne pas expressément les marchés les plus suivis au monde, comme les marchés américains, européens et chinois, les indices larges finissent quand même par dépasser leurs précédents plus hauts.

Simplement, au lieu d’avoir une survenue médiane de cet événement au bout de 4 ans environ, 7 ans seront nécessaires.

Vendre au plus haut, c’est souvent vendre au début du mouvement

Le grand public redoute les sommets historiques comme s’ils annonçaient mécaniquement une rechute.
Pourtant, la littérature financière de ces vingt dernières années établit un fait robuste : les marchés disposent d’un momentum structurel, et les plus hauts historiques sont statistiquement suivis de nouvelles hausses, non de retournements. Ce phénomène n’a rien d’anecdotique : il constitue l’un des piliers de la performance à long terme.

Les travaux d’AQR Capital (Asness, Frazzini & Israel, “The Many Faces of Momentum”, 2014) montrent que le momentum est un facteur universel, présent dans toutes les classes d’actifs et toutes les époques. Ils démontrent qu’une tendance haussière a plus de chances de se prolonger que de s’inverser. C’est un peu l’effet Lindy mais cantonné à la performance boursière : l’espérance de durée est proportionnelle à l’âge actuel de la chose dont il est question.

C’est un résultat confirmé par les analyses de Dimensional Fund Advisors (DFA) : dans “Should Investors Fear All-Time Highs?”. DFA souligne que les rendements futurs après un nouveau record sont identiques – voire légèrement supérieurs – aux rendements observés en dehors des sommets. Autrement dit : un top n’est pas une anomalie, mais l’état naturel d’un marché en croissance. De nouveaux tops chassent régulièrement les précédents, s’accompagnant ce faisant d’une surperformance appréciable pour les investisseurs.

Un nouveau plus haut n’est généralement pas un point final, mais un point de départ. Bien sûr, une respiration peut survenir – parfois de manière soudaine et violente – mais à l’échelle d’un investisseur discipliné, le sommet n’est souvent qu’une étape, et rien d’autre.

Acheter au bon prix, acheter quand c’est cher

Ne pas acheter au plus haut est un biais psychologique qui découle de la peur.
Ce n’est pas une stratégie.

Et acheter le creux, le buy the dip, dont on nous rebat les oreilles, ne fonctionne quant à lui pas aussi bien qu’on pourrait l’imaginer. La raison en est toute simple : les investisseurs n’achètent pas les bonnes baisses.

Oui, acheter sur repli reste pertinent. Mais acheter quand c’est les soldes, c’est mieux. C’est la configuration idéale, bien qu’elle soit la plus difficile à mettre en œuvre.

Quand le marché est rouge sang, que les mauvaises nouvelles pleuvent et que les perspectives sont peu engageantes, se convaincre qu’acheter est la seule réaction intelligente, profitable et nécessaire n’est clairement pas à la portée de tous.

Barber & Odean, sur plus de 15 ans de publications, rapportent que les investisseurs achètent essentiellement les petites baisses, et cèdent à la pression vendeuse lorsque ces baisses sont plus importantes. A tel point que la performance moyenne de l’investisseur moyen est de 6% en dessous de celle du marché. Notamment à cause de ses tentatives répétées de market timing qui n’apportent pas les fruits escomptés.

Qu’on ne s’y trompe pas, parmi tous les risques qui peuvent venir gâcher la performance de l’investisseur, le risque de non-investissement pèse pour l’essentiel.

C’est pourquoi chez Synapses, nous nous attachons essentiellement aux fondamentaux des entreprises pour jauger de leur qualité. Nous n’avons pas de boule de cristal, mais nous avons de la matière financière précise et en quantité suffisante pour évaluer la qualité des business models et leur profitabilité. Les sociétés qui passent ces tests qualitatifs intègrent ensuite nos portefeuilles.

👉Vous pouvez les découvrir en cliquant ici.

Le marché est paradoxal : il sanctionne l’attente des creux mais valorise l’endurance.

Ses gains vont à ceux qui acceptent l’incertitude, non à ceux qui prétendent la contrôler.

Dans cette dynamique, l’avantage décisif de l’investisseur n’est ni l’audace ni l’excès de prudence, mais la constance. 

Portée par une analyse rigoureuse des entreprises et par le refus de jouer au devin, la performance naît d’un lent travail de maturation psychologique. Elle s’affirme sans agitation, sans mimétisme, sans peur.

L’investisseur progresse ainsi avec un appétit mesuré pour le risque :
jamais il ne le craint, mais toujours il le respecte.


*La date de lancement du S&P 500 est le 4 mars 1957. Toutes les informations présentées pour la période antérieure à cette date sont des données back-tested.

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