Et si l’intuition en bourse avait finalement du bon ?

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Yoda disait : « À vos intuitions vous fier, il faut. »

Intuitivement, une telle approche semble difficilement soutenable en Bourse. Faire l’économie d’un travail rigoureux de recherche et d’analyse, c’est risquer d’embarquer une palanquée de biais et de décisions erronées.
 
Et pourtant… cette maxime venue d’une petite créature verte soulève une question passionnante pour l’investisseur : l’intuition est-elle un don… ou un piège ?
 
Nous allons explorer ce sujet méthodiquement en essayant de comprendre ce qu’est l’intuition et si nous pouvons en tirer parti dans nos processus de décision.
 
1. L’intuition selon les neurosciences cognitives
 
Dans cette perspective, l’intuition n’est jamais vierge. Elle repose sur un apprentissage implicite, encodé en mémoire.
 
Autrement dit, le cerveau anticipe sans que l’on en soit conscient. Il traite des milliers de micro-signaux, et construit un modèle du monde à partir de données passées. 
 
Hebb, en 1949, puis Friston, en 2010, parlent d’un cerveau prédictif qui anticipe le monde en silence.
Dans un contexte financier, cela revient à dire que plus vous exposez votre esprit à des récits de marché, plus il développe un référentiel discret, et donc un début d’expérience.
 
Pas besoin d’avoir tradé pour créer une intuition boursière. Ce n’est pas la qualité de l’expérience qui compte, mais l’expérience en tant que telle, et surtout sa répétition.
 
Ainsi, même écouter les maximes de Yoda… peut contribuer à forger une intuition de Jedi.
 
2. L’intuition biologique : pré-cognitive, câblée
 
Les chercheurs Johnson et Morton, en 1991, ont montré que les nourrissons reconnaissent les visages dès la naissance. Une telle reconnaissance n’est pas apprise, mais programmée biologiquement.
 
Cela suggère l’existence d’une intuition archétypale, pré-cognitive, comme une sorte de boussole innée qui nous aide à aller dans les bonnes directions sans devoir y réfléchir. Dans ce cas, l’intuition n’émerge pas de l’expérience, mais de notre code génétique.
 
Un parallèle fascinant peut être fait avec certaines expériences en finance comportementale.
 
En 2002, une expérience informelle menée par le journaliste britannique Richard Robbins (Channel 4) a comparé les performances de trois groupes :
 
enfants de 8 à 12 ans
professionnels de la finance
enseignants en économie
 
Chacun devait construire un portefeuille à partir d’actions britanniques. Les enfants, sans méthode ni analyse, ont simplement choisi des noms qu’ils aimaient.
 
Et ils ont… surperformé les deux autres groupes.
 
Mais encore plus intéressant, le groupe des professionnels, paradoxalement, a obtenu les plus faibles résultats.
 
Le résultat de cette expérience est plus empirique qu’académique, mais il rejoint un constat appuyé par plusieurs recherches plus rigoureuses : l’excès de complexité peut nuire à la performance.
 
Une étude menée par Andrade, Chhaochharia & Fuerst, en 2012 (Journal of Financial Economics), s’est demandé si les hedge funds délivraient une véritable surperformance (« alpha »).
 
Et la réponse fut déconcertante pour les professionnels des marchés financiers. Une large majorité d’entre eux ne battent pas un portefeuille 60/40, relativement banal dans sa structure et les compétences mobilisées – NDLR : un 60/40 se décompose en 60 % d’actions pour la croissance et 40 % en obligations pour les revenus réguliers. Pire encore, ils ne battent pas non plus un portefeuille purement aléatoire, une fois ajustées les performances nettes de frais.
 
Ce constat redonne a priori une légitimité… à une forme d’intuition maîtrisée.
 
En 1999, Gigerenzer, Todd & le ABC Research Group publient Simple Heuristics That Make Us Smart. L’ouvrage s’emploie à démontrer que des règles simples, mais adaptées à leur environnement, peuvent battre des modèles sophistiqués, notamment en Bourse où le bruit est omniprésent.
 
Selon Gigerenzer, certaines intuitions dites “naïves”, reposant sur des heuristiques familières, sont capables de décisions rapides, robustes, et parfois plus créatives que les raisonnements trop informés. Il en finit par observer que ce sont bien ces intuitions “naïves” mais structurées qui dénotent une forme d’intelligence et qui tendent vers des résultats optimaux.
 
3. L’intuition phénoménologique : accès direct à la connaissance ?
 
Et si l’intuition n’était rien d’autre qu’un accès immédiat à une connaissance non intermédiée, c’est-à-dire non filtrée et non transmise par un tiers ?
 
C’est ce que suggèrent les philosophes Husserl, Bergson et Merleau-Ponty.

Une perception sans raisonnement, une saisie silencieuse de ce qui est juste.
 
Ça vous paraît tout droit sorti d’un délire mystique digne de Yoda ? Pourtant, pas tant que ça.
Dans les années 1950-60, des psychiatres comme Stanislav Grof ou Leo Zeff ont utilisé des substances psychédéliques (LSD, MDMA, psilocybine) pour traiter les traumas.
 
Les patients décrivaient :
 
une dissolution de l’identité narrative (leur « moi » intérieur se désactivait)
un sentiment d’unité (ils étaient connectés au monde)
une compréhension directe de soi, sans mots (ils « voyaient » des choses)
 
Le professeur Carhart-Harris parle ici d’entropie cérébrale : le cerveau lâche ses schémas, et laisse émerger… autre chose.
 
Et c’est cet autre qui prend le volant, qui guide nos élans, qui accélère la prise de décision, et à qui l’on doit, dans ces moments-là, la qualité du résultat.
 
Heureusement pour nous, nul besoin de recourir aux psychotropes pour tendre vers des résultats comparables : la méditation, l’hypnose et le flow offrent un accès naturel à ces états.
 
4. L’exemple du flow 
 
Le flow, théorisé par Csikszentmihalyi, est un état de sur-concentration ou de sur-lucidité, où le raisonnement disparaît, mais l’action reste juste.
 
Il intervient plus rapidement et plus efficacement chez toutes les personnes qui en ressentent les effets.
Le flow est très populaire chez les sportifs. Ils emploient généralement le terme de “zone” pour le décrire. Mais les artistes, les politiques, les ingénieurs dans de grandes start-ups ou encore les étudiants y sont souvent exposés.
 
L’absence de repères temporels – car pris dans le flow de l’action – ainsi que la fulgurance des réponses sont souvent les critères les plus représentatifs de cet état mental très prisé pour les résultats qu’il déclenche.
 
Mais, aussi curieux que cela puisse paraître pour certains, le domaine financier n’échappe pas au flow.
Le psychiatre spécialisé dans la psychologie des traders, Brett Steenbarger, expliquait que le flow se manifestait ainsi chez les traders :
 
– exécution fluide et sans hésitation
timing optimal des entrées/sorties
– perte de la notion du temps
– lecture instinctive du carnet d’ordres
 
L’ego disparaissait, le geste devenait pur et le résultat plus immédiat.
 
La vraie question n’est plus faut-il suivre son intuition, mais plutôt comment la structurer pour qu’elle devienne un allié ?
 
Chez Synapses, nous valorisons l’analyse rigoureuse, la data et la discipline. Nous n’avons jamais fait mystère de notre attrait pour l’expertise, ce qui se place à l’opposé de l’intuition.
 
Mais ce n’est pas non plus un hasard si nous parlons très régulièrement de psychologie et que nos échanges avec la communauté se font en direct, en live.
 
C’est, selon nous, le meilleur moyen de faire circuler les expériences de tout un chacun, et de s’infuser les uns les autres de tout ce qui peut façonner des… intuitions boursières.
 
Cultiver l’échange, les différences et les réactions, avec en trame de fond de l’expertise, c’est un cocktail puissant de tout ce que le cerveau d’un investisseur débutant, aguerri ou expert mérite pour prendre des raccourcis pertinents dans ses prises de décisions.

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