Trump put : incertitudes, début de rebond, retournement
Investir en bourse réclame de toujours se demander si les décisions que l’on a prises étaient avisées ou complètement idiotes.
A-t-on lu correctement le marché ? Ce que l’on pensait hier est-il, aujourd’hui, toujours d’actualité ? L’environnement est-il différent ? Quelles sont les raisons qui peuvent invalider notre scénario ? Et si on s’est trompé dans les grandes largeurs, que peut-on faire pour corriger le tir ?
Ceux qui ont eu l’indulgence de me lire ces deux dernières semaines savent que j’ai remis d’équerre mon portefeuille à l’occasion de ce que l’on nommera désormais le krach du Liberation Day (NDLR : le fameux jour des annonces des droits de douane U.S.).
Lorsque la tempête s’est levée, je m’en suis voulu de ne pas avoir été plus rigoureux et d’avoir abandonné ma discipline en matière de nombre limité de lignes détenues, car dans un marché chaotique, il faut pouvoir choisir ses batailles, expression avec laquelle vous commencez à vous familiariser depuis que vous me lisez.
Plus vous avez d’actions en portefeuille, plus vous devez fragmenter votre force de frappe (vos liquidités) lorsque l’heure est venue de moyenner à la baisse, et moins vous pouvez (ré)agir efficacement. Ce n’est pas trop problématique quand le marché est dans de bonnes dispositions, mais quand il fait des siennes et se met à ruer dans tous les sens comme un canasson piqué par un taon, on mesure pleinement l’idiotie de s’être assis en conscience sur cette règle d’or. Sans compter que vos liquidités (en tout cas les miennes) étant par nature limitées, vous devez parfois procéder à des arbitrages délicats et vous résigner à passer à côté de possibles opportunités de renforcement. J’ai donc réduit drastiquement le nombre de mes lignes et refais du cash. Est-ce que je le regrette au vu du rebond ? Non.
Pourquoi ? Parce qu’en revenant à un principe que je m’évertue à professer, je suis mieux armé pour intervenir plus efficacement et plus résolument si l’occasion se présente. Ce qui compte en bourse comme dans la vie n’est pas tant ce que l’on a fait, en bien ou en mal, (difficile de revenir dessus) mais agir pour être meilleur ou… moins mauvais. Ne pas persister dans l’erreur est une façon d’y parvenir.
Un moment « chéri, on efface tout et on repart de zéro » ?
Ces deux dernières semaines, mon discours était empreint de prudence. Ai-je été trop pusillanime au regard du rebond du marché ?
Afin de répondre à cette question précisément, il convient de s’en poser plusieurs autres, et pour commencer celles-ci : Sommes-nous revenus à la situation ex-ante ? Est-ce que les rétropédalages du sieur Trump équivalent à un « chéri, on oublie tout et on repart de zéro » ?
En bourse, en économie, comme dans les relations de couple, il est difficile d’effacer totalement le passé. En tout état de cause, le rétropédalage n’est que partiel. Les droits de douane sont maintenus et l’empoignade avec la Chine n’est pas achevée. De l’aveu de Scott Bessent, le secrétaire au Trésor, les négociations vont durer de longs mois. Donald Trump a beau trompeter qu’il a d’excellentes relations avec Xi Jinping et qu’ils se sont parlé (des discussions dont, au passage, Bessent déclare ne pas être au courant), le processus d’apaisement va nécessiter un certain temps.
Dans ce bras de fer, bien qu’affectée, la Chine a selon nous l’avantage car elle détient les moyens de production tout comme elle contrôle les matériaux critiques dont dépendent des pans entiers de l’économie américaine. De surcroît, elle peut facilement appuyer là où cela fait très mal, à savoir les taux longs U.S., en se débarrassant de ses bons du Trésor.
On peut ne pas être en phase avec cette analyse (j’avoue que je suis curieux des contre-arguments), ce qui est en revanche incontestable est que les entreprises de logistique font état d’une baisse drastique des expéditions de conteneurs vers les États-Unis suite à l’imposition de droits de douane de 145 % sur les importations chinoises.
Le Financial Times rapporte que d’après Vizion, une plateforme de suivi des conteneurs, les réservations de conteneurs standard de 20 pieds en provenance de Chine vers les États-Unis ont, à la mi-avril, chuté de 45 % par rapport à l’année précédente.
Le port de Los Angeles, principal point d’entrée des marchandises chinoises aux États-Unis, a pour sa part annoncé anticiper une baisse de 33 % des arrivées prévues pour la semaine du 4 mai par rapport à la même période de l’année précédente. Les données en provenance du fret aérien corroborent la tendance.
Moins d’importations en provenance de Chine, autant de droits de douane à empocher en moins. Autant de problèmes en plus pour les entreprises dont la chaîne d’approvisionnement est perturbée. Autant de risques de résurgence (au moins temporaire) de l’inflation via un choc d’offre plus ou moins prononcé, autant de raisons pour la FED de ne pas se presser pour baisser les taux, ce qui ne va pas faire les affaires de la Maison blanche et ne va clairement pas dans le sens d’un soutien inconditionnel au marché.
Tout cela pour dire, sur le ton sentencieux et comminatoire si prisé lors des drames conjugaux, que non, il n’est pas possible de faire comme si rien ne s’était passé.
Le Trump Put existe (encore) et nous l’avons rencontré
Doit-on conclure que nous en sommes au même stade que lorsque Trump a annoncé avec pertes et fracas son jour de la libération et que le soulagement de la bourse est déplacé ?
Non, car nous avons appris quelque chose d’essentiel depuis le 9 avril : contrairement à la théorie qui lui prêtait une indifférence totale au sort du marché actions, voire des intentions de le faire baisser et de provoquer une récession avec pour objectif inavoué de faire reculer le taux des bons du Trésor à 10 ans afin de faciliter le refinancement de l’État fédéral, Donald Trump est bien obligé de se préoccuper du niveau du S&P 500 et du Nasdaq.
La chute des deux grands indices a provoqué un bain de sang via les appels de marge parmi les nombreux Hedge Funds qui s’amusaient à faire du levier grâce au basis trade (pour comprendre de quoi il retourne voir l’entretien que j’ai eu avec Jacques Lemoisson voilà un peu plus de cinq mois, intitulé « Basis Trade : le danger est là”). Suite à quoi, Bessent et Trump ont eu les oreilles qui sifflent et reçu quelques coups de fil passablement paniqués de sommités de Wall Street. Le message est passé.
À tel point, du reste, que l’homme à la chevelure orange n’hésite plus à faire machine arrière illico presto si le besoin s’en fait sentir.
Le lundi 17 avril 2025 dans une publication sur Truth Social, son propre réseau social, Donald Trump a habillé pour l’hiver Jerome Powell, le patron de la FED, en le traitant de « grand perdant », renouvelé sa demande en faveur de baisses « préventives » des taux d’intérêt, et laissé planer l’idée d’une révocation du patron de la Réserve fédérale – « le départ de Powell ne saurait arriver trop tôt ». Dans la foulée de ces déclarations tapageuses, le S&P 500 a clôturé en retrait de 2,35 % tandis que le Nasdaq s’est affaissé de 2,55 %.
Devant le décrochage des indices, changement de ton. Trump déclare ne pas avoir l’intention de révoquer Jerome Powell, dont le mandat à la tête de la Réserve fédérale s’achève en mai 2026. Soulagement et rebond des marchés.
Nous avions eu le FED put (la certitude que la Fed interviendrait sans coup férir pour soutenir les marchés financiers en cas de forte baisse), nous savons désormais que le Trump Put (l’idée ayant émergé durant la première mandature de Donald Trump qu’il agirait ou tweeterait pour éviter une chute durable du marché boursier) a été réactivé.
Ce n’est pas une information qu’un investisseur devrait selon moi dédaigner car il en découle une hypothèse plausible : que nous ayons vu, à court-terme, grosso modo le point bas du marché.
Trop tôt pour faire sauter les bouchons
De là à sortir les cotillons et faire sauter les bouchons, il y a sans doute un sacré pas à franchir, ce dont se gardera bien votre serviteur. Comme indiqué plus haut, les palinodies de Mr Trump ne sont que partielles. Les droits de douane ne sont pas abolis et en attendant que des négociations se concrétisent, personne ne sait ce qu’il en ressortira.
Le marché obligataire demeure aux aguets. Certes, le 10 ans américain s’est détendu pour retomber à 4,22 % au moment où nous rédigeons ces lignes (lundi 28 avril), et tant que les investisseurs obligataires se radoucissent, les marchés actions peuvent espérer étendre leur rebond. Néanmoins, la question centrale de la dette U.S. et de son financement va bien resurgir à un moment ou un autre. Sans oublier celle de l’inflation.
Du côté des changes, en dépit de la détente constatée depuis le 21 avril, le mouvement ascensionnel du yen face au dollar n’est sans doute pas fini et les investisseurs feraient bien d’être moins amnésiques que Dory la dorade et garder en mémoire les répercussions du débouclage de positions de carry-trade au coeur de l’été 2024.
Quant aux entreprises, elles seront forcément affectées par l’incertitude actuelle bien qu’elles communiquent peu ou pas sur le sujet. Chacun peut comprendre qu’il leur soit extrêmement ardu de faire des prévisions dans un environnement aussi mouvant.
Il ne s’agit pas pour autant de minorer les forces de rappel. Les investissements dans l’I.A. semblent toujours élevés, le pessimisme chez les investisseurs n’est plus aussi extrême mais demeure notable, ce qui est plutôt un bon signal contrarien.
Ne pas courir comme un furieux après le rebond mais…
Compte tenu de la prudence qui est la mienne et des incertitudes régnantes qui ne la tempèrent pas, je ne serai toutefois pas du genre à courir en ce moment après le marché. Néanmoins, je ne crois pas non plus qu’il faille rester inactif surtout lorsque*, comme moi,* l’on possède un portefeuille à très forte tonalité européenne, une tonalité européenne accrue depuis que j’ai liquidé une bonne partie de mes lignes U.S (Précision : j’ai cependant agrémenté mon portefeuille d’une nouvelle valeur américaine depuis la semaine écoulée, ce qui fait que j’en possède deux.)
Les flux vers les actions européennes ont eu tendance à s’intensifier ces dernières semaines. Comme le rapporte Reuters, « les fonds d’actions européens ont enregistré des entrées massives au cours de la semaine terminée le 16 avril, tandis que les fonds américains ont été confrontés à d’importantes sorties, les investisseurs continuant de déplacer des capitaux en raison des inquiétudes concernant les tarifs douaniers américains et des inquiétudes croissantes concernant la vigueur de l’économie américaine. Selon les données LSEG Lipper, les investisseurs ont investi pour 11,13 milliards de dollars en fonds d’actions européens et 3,64 milliards de dollars en fonds d’actions asiatiques. En revanche, les fonds d’actions américains ont enregistré une sortie de capitaux de 10,62 milliards de dollars. »
Lorsque l’on lit et écoute quotidiennement, comme s’y astreint votre serviteur, les analyses d’acteurs de marché établis aux Etats-Unis, la petite musique des actions européennes et asiatiques pas chères revient avec insistance. Sans se laisser bercer par de tels chants des sirènes, il est vrai que la correction récente a redonné de l’attractivité à une bonne partie de la cote, et au premier chef, et c’est que qui nous intéresse, à pas mal de valeurs aux fondamentaux de première qualité, comme celles qui figurent dans les sélections que nous avons créées avec AlphaValue, le leader de l’analyse financière indépendante en Europe.
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Commencer à renforcer des lignes sans me précipiter (le marché peut retracer, Donald Trump ayant de fortes chances de susciter un peu de volatilité) tout en demeurant très sélectif dans mes choix d’intervention résume bien mon état d’esprit du moment. Je me fixe aussi comme règle présente de ne pas être trop gourmand et de prendre des bénéfices partiels sur certaines positions dès que l’occasion s’offrira. Mais le plus important n’est pas là.
Ce qui compte dans la période trouble que nous traversons est de comprendre ce que nous détenons en portefeuille et pourquoi nous le possédons. Cela évite de se poser trop de questions, et dans un temps où l’incertain s’invite à la table tous les jours, avoir des convictions de stock-picking est la clef d’une gestion sereine et maîtrisée.