L’effet Stroop : l’information qui en cache une autre

EFFET_STROOP_Synapses

L’effet d’interférence de Stroop, l’effet de Jaensch ou encore plus simple l’effet Stroop vous laisse sûrement songeur. À quoi peut bien faire référence un titre aussi équivoque ? Parce qu’une image vaut mieux que mille mots, permettez-moi d’introduire cette référence visuelle avant d’aller plus loin.   

Que nous montre cette image ? Le mot “Rouge” est écrit en bleu, “Vert” est écrit en rouge, et “Bleu” est écrit en vert. Cette contradiction entre le contenu du mot, la couleur qu’il évoque et la couleur utilisée pour l’écrire génère un conflit dans le cerveau. Ce phénomène est dû à une interférence provoquée par une information non pertinente ou contradictoire, introduite lors de l’accomplissement d’une tâche cognitive. Vulgairement parlant, c’est ce moment où l’on a “bugué” face à une discordance sensorielle.
 
Ce bug — purement cognitif, sans lien avec un court-circuit informatique causé par un insecte comme à l’époque des premiers ordinateurs — nous fait hésiter sur la priorité à accorder aux deux informations contradictoires.
 
Reprenons l’exemple.
 
Lorsqu’on lit le mot “Rouge” écrit en bleu et qu’on vous demande de quelle couleur est le mot, vos réflexes cognitifs — sous l’effet Stroop — vous poussent souvent à répondre “rouge”. Pourtant, vous n’êtes pas aveugle. Votre cerveau a simplement pris un raccourci de pensée : il s’est précipité vers ce qui lui semblait logique et évident. Après tout, pourquoi utiliser une couleur différente de celle que le mot exprime ?
 
La question est pertinente : toutes les informations qui nous entourent ne nous sont pas livrées clé en main. Le discernement ne dépend pas seulement de nos capacités analytiques, mais aussi de nos qualités d’observation et de la patience nécessaire pour trier les informations pertinentes de celles qui ne le sont pas.
 
L’effet Stroop illustre de manière saisissante les deux systèmes de pensée définis par Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002 :
 
Le système 1, rapide, intuitif, émotionnel, fonctionne en permanence.
Le système 2, plus lent, analytique et réfléchi, demande plus d’effort cognitif, et n’est activé que sur sollicitation spécifique.
 
Évidemment, comme le système 2 est énergivore, notre cerveau tend à lui préférer le système 1. Face au test de l’effet Stroop, votre système 1 vous intime de répondre “rouge” ; seul un effort volontaire d’analyse (mobilisation du système 2) vous conduit à la réponse correcte : le mot est écrit en bleu.

Comment l’effet d’interférence de Stroop peut vous faire rater une opportunité boursière ?
 
La qualité d’une information ne peut se juger dans l’instant. Elle doit être confrontée à d’autres faits, examinée avec esprit critique et replacée dans un ensemble d’informations plus vaste. Le monde est plus complexe qu’il n’y paraît, moins binaire qu’on ne le souhaiterait, et les liens entre causes apparentes et conséquences réelles sont souvent plus sinueux qu’on ne l’imagine.
 
La finance n’échappe pas à cette complexité. Les signaux contradictoires y sont légion. La période électorale américaine de 2024 en offre un exemple : un rallye haussier des marchés a précédé un début d’année 2025 chaotique.
 
Face à ce flot d’informations, le rapport signal/bruit — analogue au mot “Rouge” écrit en bleu — devient difficile à démêler pour les investisseurs. Les bonnes et mauvaises nouvelles, les réactions internationales et les déclarations improvisées du président américain ont rendu le contexte opaque pour la prise de décision.
 
Quelles informations fallait-il privilégier ces derniers mois ? Fallait-il suivre ceux qui promettaient un nouvel âge d’or de l’économie américaine ou imiter des figures de premier plan comme Warren Buffett, Mark Zuckerberg (CEO de Meta) et Jeff Bezos (fondateur d’Amazon) qui vendaient massivement leurs actions avant l’annonce officielle des premières mesures protectionnistes de Donald Trump ?
 
Cette difficulté à filtrer les signaux contradictoires – et déterminer lesquels retenir – est l’un des premiers obstacles à surmonter en matière d’investissement. Sous l’effet d’une information discordante, notre attention se fragmente, notre traitement de l’information ralentit, et nos décisions deviennent plus sujettes à l’erreur.
 
Le succès en bourse découle bien souvent de notre aptitude à agir promptement, mais intelligemment. Ce qui revient à être capable de mobiliser avec une alchimie impeccable, et de manière synchrone, le système 1 et le système 2 évoqués par Daniel Kahneman. Un exercice qui se révèle bien plus difficile qu’il n’y paraît.

La paralysie d’analyse : la conclusion fatale de l’effet d’interférence de Stroop
 
La pire décision de toutes est celle que l’on n’a pas prise.”
Zig Ziglar
 
L’effet Stroop, à cause de la latence qu’il introduit dans nos processus de décisions, est plus pernicieux que nombre d’autres de ses camarades des biais cognitifs. 
 
Puisque le conflit entre deux informations génère une erreur d’interprétation qui mobilise une attention exécutive – un effort de réflexion -, lorsqu’un grand nombre d’informations sont en conflit, alors le risque est de s’embourber dans une analyse à vide de ces informations, plutôt que de les mettre correctement en perspective. On appelle ce phénomène la paralysie d’analyse.

L’effet Stroop, à cause de la latence qu’il impose, est redoutablement insidieux :
 
Le conflit d’informations génère une surcharge cognitive.
Si plusieurs sources contradictoires s’accumulent, l’analyse devient plus lente, moins précise.
La prise de décision est retardée, voire avortée : c’est la paralysie d’analyse.
 
C’est comme si, face à une phrase truffée d’incohérences visuelles, vous passiez votre temps à décoder chaque mot plutôt que de comprendre le message global. Vous êtes pris de mutisme, de paralysie analytique, à cause de votre incapacité à traiter correctement toutes ces données contradictoires.
 
Exemple :
 
J’aime les haricots verts, qui en plus d’être d’une teinte douce et agréable, sont moins agressifs que les rouges en ce qui concerne nos intestins. Il en va de même pour les poivrons rouges qui sont moins digestes que les verts.
 
Ici, toute mise en exergue graphique invite à considérer que le mot est important dans la phrase. Pourtant, les mots en question sont pour la majorité d’entre eux des articles, des conjonctions de coordination ou des pronoms relatifs, et par conséquent sans importance. Pour distinguer ce qui est important de ce qui ne l’est pas, le cerveau se doit alors de fournir un effort supplémentaire pour identifier ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas — un effort qui le détourne de sa mission première : comprendre l’information dans son ensemble.
 
Quand on ne peut hiérarchiser les informations, la prise de décision devient impossible. En tant qu’investisseur, c’est ce qu’il faut absolument proscrire !

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