
Évaluer les chances d’une crise de la dette française est au café du commerce devenu un sujet aussi débattu que probabiliser la capacité du PSG à conquérir une deuxième Ligue des champions consécutive ou établir la liste des dix choses qui dans la vie durent plus qu’un gouvernement Lecornu. Voilà à quoi en est réduit la France.

On cherche généralement à se rassurer en regardant la paille dans l’œil du voisin. Et quand le voisin est de l’autre-côté de l’Atlantique, et que la paille s’élève à une dette de 36.000 milliards de dollars, avouons qu’il y a matière à dégoiser et l’on peut en effet se dire que, bon, les États-Unis sont à 7 % de déficit budgétaire et que nous n’en étions modestement (sic) qu’à 5,8 % en 2024. Bref, tout irait bien si nous n’étions les cancres de l’Europe.
Comme rester sur des idées reçues, n’est pas ce que nous affectionnons le plus, quand nous tombons sur une donnée qui nous permet une perspective alternative, nous regardons.
Alors que nous nous concentrons tous sur le ratio dette publique/PIB –il s’élevait à 115,6 % à la fin du deuxième trimestre en France, Dhaval Joshi, chef stratégiste chez BCA Research, s’est amusé à comparer l’évolution des ratios de dette totale (publique et privée) / PIB des Etats-Unis, de la France et du Canada.

Si l’on fait abstraction de la période exceptionnelle du Covid, celui des États-Unis est resté globalement au même niveau depuis 2009.
Le Canada et la France ont vu les leurs s’envoler pour atteindre respectivement 315 % et 325 %. On pourra toujours gloser sur le taux d’épargne des Français et le comparer à celui des Américains mais ce que ce graphique souligne est que le Canada, longtemps porté par la bulle immobilière et les taux bas, affiche un endettement des ménages parmi les plus élevés du monde développé et que la France cumule une dette publique élevée, une dette privée dynamique et une faible croissance potentielle : une triple peine.
En d’autres termes, les États-Unis ont un État surendetté, mais une économie désendettée (Ok… nuançons… pas aussi endettée que cela en relatif…). La France et le Canada ont une économie surendettée et un État incapable de compenser.
France : la Ve passe la IVe
La Ve République ressemble de plus en plus à la IVe avec ses combinaisons politiciennes et sa valse des gouvernements (24 entre 1947 et 1958).
Le dernier en date n’aura tenu que quinze heures — un record de brièveté institutionnelle qui, même à l’échelle hexagonale, force l’admiration. Quinze heures, le temps d’un aller-retour Paris–New York, avant la démission du Premier ministre, la reprise en urgence des tractations et la confirmation, au petit matin, qu’aucune majorité ne tenait debout.
Comme le relèvent nos amis d’AlphaValue, le marché a pris bonne note, cf le graphique ci-dessous, qui met en parallèle l’indice STOXX 600, représentatif de la cote européenne, et les actions françaises couvertes par AlphaValue, soit les 91 plus grandes sociétés françaises cotées.

De l’avis d’AlphaValue (que je m’apprête à citer in extenso, “cela démontre deux faits tout aussi inquiétants.
Premièrement, la France est enlisée dans un bourbier politique depuis la dissolution de l’Assemblée nationale au printemps 2024, sans aucune issue en vue. L’Assemblée nationale actuelle est dysfonctionnelle au point de ne pouvoir s’entendre, même sur un programme de coalition temporaire.
Deuxièmement, le fossé entre le président et la nation semble se creuser de jour en jour. Après la décision désastreuse de convoquer des élections générales en juin 2024, la nomination répétée de gouvernements du même acabit (Attal, Barnier, Bayrou et maintenant Lecornu) n’a fait qu’exacerber les tensions entre les factions politiques. Le fait que le président ait tenté une fois de plus de former un gouvernement avec les mêmes convictions politiques et la même absence de soutien politique amène à s’interroger sur son jugement. Après tout, comme l’a dit Albert Einstein (ou peut-être Mark Twain ou Benjamin Franklin) : « La folie, c’est faire toujours la même chose et espérer des résultats différents. »”
Qu’attendre pour les actions françaises ?
“Les marchés financiers ont logiquement réagi à la dernière démission du gouvernement : le spread OAT-Bund à 10 ans s’est creusé de 8 pb à 88, les banques se sont effondrées et le CAC 40 est redevenu l’ETF short préféré des investisseurs. La pagaille politique persistante laisse présager que l’élargissement des spreads ne s’arrêtera pas là, ce qui signifie que les financières françaises (CASA, BNP, Société Générale et AXA – via leurs OAT) sont confrontées à un enfer.”
“En l’absence d’un gouvernement conservateur capable de prendre des décisions, l’impression monétaire est plus probable que toute forme de réduction des dépenses. Les impôts, tant sur les particuliers que sur les entreprises, devront alors augmenter.”
“Une hausse des impôts serait préjudiciable à la croissance et pourrait affecter toutes les sociétés cotées fortement exposées à la France. Les banques souffriraient de leur double rôle de prêteurs (volumes plus faibles et risques plus élevés) et d’emprunteurs (coûts plus élevés). Ce n’est pas une nouveauté.”
Mais au-delà des banques, quelles sont les entreprises qui pourraient le plus souffrir ?
“Il est plus probable que la détérioration attendue de la conjoncture économique nuise aux bilans les plus fragiles,” répond AlphaValue qui répertorie les 23 entreprises affichant un ratio dette nette/EBITDA supérieur à 3. “Les valeurs immobilières sont évidemment en tête et ont intérêt à s’appuyer sur des financements à long terme. Quant aux autres suspects habituels, les services aux collectivités et les concessions déploreront à nouveau l’élargissement des spreads qui ruine leurs modèles économiques.”
Et le reste de la cote ?
“En réalité, les grandes entreprises françaises cotées en bourse ne sont pas implantées en France et ne s’en soucieront probablement pas, car elles ne dépendent pas de financements français. Cependant, par frustration, elles pourraient vouloir s’installer aux Pays-Bas. Les grandes entreprises françaises ont un problème de passif, notamment en ce qui concerne leur siège social, alors que leurs actifs sont en bonne santé.”
Liste des 23 sociétés affichant un ratio dette nette/EBITDA supérieur à 3, les sociétés les plus vulnérables à une détérioration attendue de la conjoncture économique. L’accès à cette liste est réservé aux abonnés des offres Synapses Top Picks et Live+.
👉 Abonnez-vous dès maintenant pour découvrir cette liste.