
Notre invité est Patrick Artus, conseiller économique auprès d’Ossiam. Selon lui, les conditions actuelles en France conduisent à une forme d’asphyxie lente de l’économie. Mais la question, essentielle pour les épargnants, est de savoir quel impact cela aura sur leur patrimoine afin de déterminer quels placements privilégier ?
La croissance française sur le fil
Vincent Bezault : Patrick, ma première question porte sur la croissance. On sait qu’elle n’est pas brillante, mais peut-on encore espérer échapper à cette atonie durable ?
Patrick Artus : Le scénario de référence, aujourd’hui, c’est une croissance zéro. La croissance moyenne de la France entre 2010 et 2024 n’a été que de 1 % par an. Et, selon les engagements budgétaires actuels, nous devons réduire le déficit public primaire de plus de 4 points de PIB en quatre ans, si l’on en croit le Premier ministre. Cela signifie un point de restriction budgétaire supplémentaire chaque année, ce qui annulera toute croissance.
En clair, la croissance française sera nulle entre 2026 et 2029. C’est une conséquence mécanique de la consolidation budgétaire.
Mais deux chemins, en théorie, permettraient d’échapper à ce scénario : une baisse du taux d’épargne des ménages ou une relance de l’investissement, public comme privé.
Consommation : l’improbable moteur du redressement
Patrick Artus : Le premier levier, ce serait le retour de la confiance des consommateurs, amenant les ménages à épargner moins. Le taux d’épargne s’établit actuellement à 18,9 % au deuxième trimestre, un niveau extraordinairement élevé. Il dépasse largement la moyenne de la zone euro, qui est de 15,4 %.
Or, dans plusieurs épisodes de consolidation budgétaire du passé -par exemple l’Irlande dans les années 1980, mais aussi d’autres pays-, un mécanisme compensatoire s’était produit : la baisse du taux d’épargne stimulait la consommation.
Ce mécanisme reposait sur deux ressorts.
Le premier, c’est que lorsque la réduction du déficit provenait d’une baisse des dépenses publiques et non d’une hausse des impôts, les ménages anticipaient moins de pression fiscale future. Se sentant rassurés, ils consommaient davantage.
Le second ressort, c’était la substitution de la dépense publique par la dépense privée. Quand l’État réduisait ses dépenses, une partie de ces dépenses était assumée directement par les ménages ou les entreprises, ce qui soutenait la demande privée.
Ces effets de substitution faisaient que, dans certaines circonstances, la rigueur budgétaire ne pesait pas sur la croissance. On avait même observé des phases où la consommation privée compensait intégralement la réduction du déficit public.
Pourquoi la France ne bénéficiera pas de cet effet
Malheureusement, je ne crois pas que nous puissions espérer un tel phénomène en France aujourd’hui.
D’abord parce que le programme de consolidation budgétaire comportera nécessairement une composante de hausse des impôts. Or, le mécanisme de stimulation par la consommation ne fonctionne que si la consolidation repose principalement sur la baisse des dépenses.
Ensuite, parce que la confiance des ménages est profondément entamée. L’incertitude politique, les inquiétudes autour du déficit du système de retraites, la hausse attendue des dépenses de santé ou encore la crainte d’une charge fiscale accrue dans l’avenir : tout cela rend improbable un rebond de la consommation.
Il est donc très difficile d’imaginer un choc positif de confiance qui ferait baisser le taux d’épargne. Le premier mécanisme, celui d’une reprise par la consommation, ne se produira pas.
L’investissement, grand absent de la relance
Le second levier serait une stimulation de l’investissement, qu’il soit public ou privé. Il faudrait, pour cela, s’inspirer des recommandations du rapport Draghi, c’est-à-dire lancer des investissements massifs dans la transition énergétique, le numérique, la formation et le système éducatif. Ces investissements serviraient à la fois la relance à court terme et la croissance potentielle à long terme.
Les travaux d’Adrien Bilal, par exemple, montrent que le meilleur investissement macroéconomique, c’est celui qui évite le réchauffement climatique : la hausse des températures détruit massivement du PIB, tandis qu’un scénario climatique maîtrisé soutient la croissance mondiale.
Mais le vrai problème, c’est qu’on ne voit rien venir. Aucun grand programme d’investissement stratégique n’est à l’ordre du jour. Les débats politiques se concentrent sur la réduction des inégalités ou la réforme de la fiscalité, pas sur la relance de l’investissement.
Or, l’investissement des entreprises a déjà reculé de plus de 2 % en volume en 2024, puis à nouveau au premier semestre 2025. Il affiche un acquis de croissance négatif d’environ –1 %. Du côté des finances publiques, aucune marge de manœuvre n’existe pour investir davantage.
En somme, ni l’investissement privé ni l’investissement public ne joueront leur rôle d’amortisseur.
Et sans plan de relance intelligent, comme celui imaginé par Mario Draghi à l’échelle européenne, la France s’enferme dans une croissance nulle pour plusieurs années.
Un policy mix verrouillé
Vincent Bezault : Au-delà du budget, il y a aussi la politique monétaire. La BCE doit composer avec des économies très diverses. Mais pour la France, cette politique n’est-elle pas devenue trop restrictive ?
Patrick Artus : Si l’on regarde la zone euro dans son ensemble, la politique monétaire de la BCE est globalement neutre. Le taux directeur à court terme est d’environ 2 %, alors que l’inflation tourne autour de 2,1 % : autrement dit, le taux réel est à peu près nul.
Mais cette apparente neutralité est trompeuse, car la BCE poursuit en parallèle une réduction rapide de la taille de son bilan. Et selon ses propres recherches, cette contraction du bilan exerce une pression haussière sur les taux d’intérêt à long terme.
Aujourd’hui, les taux longs de la zone euro sont autour de 3,2 %, alors que la croissance nominale à long terme ne dépasse pas 3 %. Cela signifie que la politique monétaire est, en réalité, légèrement restrictive.
Une politique inadaptée à la situation française
Cette restriction est d’autant plus marquée en France, où la situation diffère sensiblement de la moyenne européenne.
Nous avons une inflation plus faible (1,2 % contre 2,1 %) et une croissance plus molle 0,8 % attendue en moyenne annuelle, contre environ 1,2 % pour la zone euro.
Cela veut dire qu’une politique monétaire neutre pour la zone euro est, pour la France, trop restrictive.
On a donc bien le sentiment que l’économie française est garrotée de toutes parts :
une politique monétaire légèrement restrictive,
une politique budgétaire très restrictive,
et une croissance potentielle très faible.
Le tout dans un contexte où la productivité du travail stagne et où les marges de manœuvre publiques sont épuisées.
La mécanique d’une stagnation durable
Pour stabiliser la dette publique à l’horizon 2029, il faut, je le répète, réduire le déficit primaire de plus de 4 points de PIB. Cela correspond à une politique budgétaire très restrictive, combinée à une politique monétaire neutre ou légèrement restrictive : le policy mix global est donc clairement restrictif.
Avec de tels paramètres, le scénario central, c’est quatre années de croissance nulle, sauf miracle du côté de la confiance des ménages ou d’un sursaut d’investissement, deux hypothèses que je juge peu crédibles.
Vincent Bezault : Pourtant, le marché du travail tient bon. Le taux de chômage ne remonte pas.
Patrick Artus : C’est vrai, mais cette situation ne durera pas. Si la croissance reste nulle pendant quatre ans, le chômage finira par augmenter, même si la population en âge de travailler est stable ou diminue légèrement.
Les réformes des retraites ont certes relevé le taux d’emploi des plus de 60 ans, mais cela ne compensera pas l’effet d’une économie bloquée. Et la hausse du chômage pèsera à nouveau sur la confiance des ménages, qui, loin de consommer davantage, renforcera leur épargne.
Le risque est donc celui d’un cercle vicieux : stagnation, perte de confiance, épargne élevée, et nouvelle stagnation.
Immobilier : un cycle fragilisé par la remontée des taux
Vincent Bezault : Venons-en aux différents types d’actifs détenus par les épargnants. Après ce tableau macroéconomique assez sombre, intéressons-nous tout d’abord à l’immobilier. Les taux sont appelés à remonter progressivement, et la croissance reste déprimée. Dans ce contexte, quels sont les signaux à surveiller ?
Patrick Artus : La principale surprise, c’est que les taux des prêts immobiliers sont restés aussi bas. Aujourd’hui, un crédit à 20 ans se négocie autour de 3,2 %, alors que l’État français emprunte sur la même durée à 4,1 %. Cette situation n’est pas tenable. Les banques ne peuvent pas prêter durablement à perte : les taux immobiliers vont nécessairement remonter vers 4 %.
Or, on observait récemment un frémissement sur le marché résidentiel : un redressement des transactions, même sans reprise de la construction neuve. Historiquement, c’est un indicateur avancé d’un rebond de l’activité dans le bâtiment. Mais si les taux immobiliers atteignent 4 %, cette dynamique s’interrompra.
Tous les professionnels du secteur sont inquiets. Les conditions de crédit actuelles ne sont pas soutenables, compte tenu de la remontée des rendements obligataires. Il faut donc s’attendre à une rechute des transactions, à la fois en volume et en prix, sur l’immobilier résidentiel.
Immobilier commercial : encore un refuge ?
Vincent Bezault : Et du côté de l’immobilier commercial ? Y a-t-il des segments capables de résister à ce contexte ?
Patrick Artus : Très peu. Il existe toujours des niches particulières, notamment l’immobilier lié aux data centers, qui profite de l’essor du numérique et du stockage de données. Mais ce sont des cas isolés.
Pour le reste, la situation est difficile. Le télétravail recule légèrement, mais le taux de vacance des bureaux demeure élevé. Quant aux commerces, ils souffrent d’une faiblesse persistante de la consommation des ménages, qui stagne, voire recule.
Bref, en dehors de quelques segments technologiques, aucune catégorie d’actifs immobiliers ne tire son épingle du jeu. Et avec la remontée des taux d’intérêt, les conditions se durcissent pour tous. L’immobilier, dans son ensemble, va connaître une phase plus compliquée.
Actions : le CAC 40 pénalisé par son “pavillon français”
Vincent Bezault : Parlons maintenant des actions. Le CAC 40 sous-performe nettement les indices européens cette année. Est-ce une tendance de fond ?
Patrick Artus : Oui. Il faut rappeler que le CAC 40 est un indice particulier. Beaucoup d’investisseurs étrangers le perçoivent comme un reflet de l’économie française, alors qu’il s’agit des 40 plus grandes entreprises françaises par capitalisation, dont la majorité sont des groupes mondialisés. En réalité, le CAC 40 reflète bien davantage l’économie mondiale que celle de la France.
Mais ce biais géographique existe, et il joue contre nous : les investisseurs associent la fragilité économique française à l’indice lui-même.
Sur le plan sectoriel, le luxe, très présent dans le CAC, pèse sur la performance. Ce secteur ne va plus aussi bien qu’avant, tandis que les banques et les valeurs de défense restent les moteurs. Or, ces dernières ont déjà tellement progressé qu’elles n’ont plus beaucoup de potentiel.
Les vents contraires sur les marchés
Trois éléments pèsent durablement sur les actions françaises.
D’abord, la hausse des taux longs, qui alourdit les coûts de financement et pèse mécaniquement sur les valorisations.
Ensuite, la faiblesse de la croissance, qui limite la progression des bénéfices.
Enfin, les projets fiscaux, quelle que soit la majorité future : tous envisagent à terme une hausse de la fiscalité sur les dividendes et les entreprises.
Autrement dit, les perspectives ne sont pas favorables. Le CAC 40 devrait probablement stagner, voire continuer à sous-performer l’Euro Stoxx 50.
Obligations : une dette française encore soutenue par la crédibilité de l’État
Vincent Bezault : Du côté obligataire, vous estimez qu’il n’y a pas de danger immédiat. Pourquoi ?
Patrick Artus : Parce que personne ne croit à un défaut de l’État français. Ce serait la fin de la zone euro. Quelle que soit l’évolution du spread, la BCE interviendrait avant un tel scénario.
Aujourd’hui, la prime de risque de la dette française par rapport à l’Allemagne — environ 82 points de base — reste supportable. Même si elle atteignait 100 points, ce serait encore gérable.
D’ailleurs, la demande reste solide : la dernière adjudication d’OAT a été sursouscrite 2,35 fois. Cela montre que les investisseurs continuent de faire confiance à la France, à condition qu’elle paie une prime de risque raisonnable.
Un risque latent : le coût croissant du financement
Ce qui change, c’est le coût de ce financement. Tant que le taux d’intérêt de la dette publique reste inférieur à la croissance nominale, la situation est soutenable. Mais si, comme aujourd’hui, le taux français à 10 ans dépasse la croissance nominale, le fardeau budgétaire s’aggrave.
Le spread vis-à-vis de l’Allemagne pourrait monter à 100 points de base d’ici fin 2025, voire 120 points à la fin de 2026. Cela n’aurait rien de dramatique, mais cela réduirait encore la marge de manœuvre budgétaire.
Le Trésor français peut supporter ce surcoût à court terme, mais au prix d’une dépendance accrue aux marchés. Et plus la prime de risque s’élargira, plus les investisseurs privés — notamment assureurs et banques — chercheront des alternatives : dette espagnole ou italienne, voire obligations d’entreprises bien notées.
BCE : une intervention très improbable à ce stade
Vincent Bezault : Peut-on imaginer une intervention de la BCE pour stabiliser les taux français ?
Patrick Artus : Non, pas à ce niveau. La BCE a clarifié récemment les conditions d’utilisation du Transmission Protection Instrument (TPI), ce mécanisme qui lui permettrait d’acheter de la dette d’un État si les conditions de marché s’écartent trop des fondamentaux économiques.
Aujourd’hui, un écart de 82 points de base avec l’Allemagne n’a rien d’anormal. Les perspectives de croissance, de dette publique et le risque politique français justifient ce niveau. Pour que la BCE intervienne, il faudrait probablement un spread supérieur à 150 points de base. Nous en sommes très loin.
En clair, la France ne peut pas compter sur Francfort pour lui offrir une soupape à court terme.
Protection sociale : la réforme que tous repoussent
Vincent Bezault : Vous évoquez souvent la protection sociale comme le cœur du problème budgétaire français. Pourquoi est-elle si déterminante ?
Patrick Artus : Parce qu’elle absorbe l’essentiel des dépenses publiques et qu’elle est structurellement déséquilibrée.
Le rapport entre cotisants et retraités est aujourd’hui de 1,7, il tombera à 1,3 dans vingt ans.
Les dépenses de santé progressent de plus de 4 % par an, alors que la cible initiale était de 3,4 %.
Le vieillissement démographique accentue cette dérive : une personne de plus de 75 ans consomme en moyenne 7 000 euros de soins par an, contre 1 500 euros pour un adulte de 20 à 59 ans.
Il faudra donc réduire la part de la protection sociale dans le PIB et faire contribuer davantage les ménages. Cela passera inévitablement par une hausse des franchises médicales, une sélection des soins remboursés, et une sous-indexation des retraites.
Les économies à venir sur les retraites et la santé
La Cour des comptes estime qu’il faudra 30 milliards d’euros d’économies sur les retraites, soit 1,5 point de PIB, et environ 2,5 points sur vingt ans en combinant retraites et santé. Ce ne sont pas des coupes massives, mais elles seront impopulaires.
Aucun gouvernement ne veut les assumer. Tous savent pourtant que ces ajustements sont inéluctables. Dans d’autres pays, les mêmes réformes ont été menées — au Portugal, en Espagne, en Suède — sans catastrophe sociale.
Mais en France, le déni persiste. Peut-être espère-t-on que la BCE ou Bruxelles impose un jour cette discipline de l’extérieur, pour ne pas avoir à la porter politiquement.
Productivité : le nœud du problème
Vincent Bezault : Vous évoquez également la productivité du travail comme un facteur clé.
Patrick Artus : C’est le nœud de tout. La productivité du travail progressait d’environ 1 % par an jusqu’en 2018. Depuis, elle a baissé de 2,5 %. Si cette tendance ne s’était pas inversée, nous aurions 6 à 8 % de PIB supplémentaires aujourd’hui.
Le coût de cette perte de productivité a été supporté par l’État. Les finances publiques ont compensé le manque à gagner, via des transferts vers les ménages et les entreprises. Autrement dit, la baisse de productivité a été neutralisée par un déficit public croissant.
Mais cette situation n’est plus soutenable. L’État doit maintenant stabiliser son taux d’endettement, donc réduire son déficit. Or, la productivité reste déprimée : il faudra bien faire porter le coût de l’ajustement sur d’autres acteurs.
Vers une redistribution du fardeau économique
Trois options existent.
Soit les ménages acceptent de supporter une partie de la perte de productivité, par une moindre progression des salaires ou une indexation plus faible des retraites ;
Soit les entreprises absorbent ce coût, par une hausse de la fiscalité ou des charges indirectes ;
Soit un équilibre mixte est trouvé.
Mais pour l’instant, le pouvoir politique refuse de toucher aux ménages, au nom de la lutte contre la pauvreté et du pouvoir d’achat. Le risque, c’est donc que tout l’ajustement pèse sur les entreprises, ce qui affaiblira encore la capacité d’investissement du pays.
Dans un système cohérent, comme en Suède, le régime de retraite est automatiquement équilibré : si les comptes se dégradent, les pensions sont ajustées. En France, c’est l’État qui compense, quitte à creuser la dette.
Cette logique ne peut plus durer. Et si la charge est reportée sur les entreprises, la compétitivité et l’investissement en souffriront durablement.
Le vide du projet économique français
Vincent Bezault : Vous semblez pointer un problème plus profond : l’absence de vision économique.
Patrick Artus : Oui, c’est là l’essentiel. Il y a aujourd’hui un projet politique, centré sur la réduction des inégalités, mais aucun projet économique.
On ne parle plus de croissance, de productivité ni de développement des secteurs porteurs.
Aucun responsable politique ne présente une vision à dix ans. On débat de la fiscalité des plus riches ou de la taxe Zucman, mais jamais de comment retrouver 2 % de croissance durable.
Les États-Unis, sous Joe Biden, avaient un véritable projet économique : l’Inflation Reduction Act, conçu pour attirer les investissements industriels et technologiques. En Allemagne, le chancelier Olaf Scholz mène un plan d’infrastructures numériques et énergétiques visant à revitaliser l’appareil productif.
La France, elle, vit au jour le jour. Son horizon politique se limite à l’élection présidentielle de 2027. On parle de redistribution, pas de production. C’est le vrai danger.
France : une économie sans cap
Vincent Bezault : Pourtant, certains plans existent, comme France 2030. Peut-on vraiment dire qu’il n’y a aucun projet ?
Patrick Artus : Ces initiatives sont trop fragmentées pour constituer une stratégie nationale. On a des mesures sectorielles, mais pas de vision d’ensemble.
Pendant que les États-Unis débattent du rôle de l’intelligence artificielle dans la croissance future, la France discute du niveau de taxation des 0,1 % les plus riches. Le contraste est saisissant.
Il ne s’agit pas d’ignorer les enjeux sociaux, mais de constater que sans vision économique claire, le pays subit les évolutions mondiales au lieu de les anticiper.
Un message pour les investisseurs
Vincent Bezault : Si l’on se place maintenant du point de vue des épargnants, comment doivent-ils réagir à ce tableau ?
Patrick Artus : La logique d’investissement doit être sectorielle, pas géographique. Il ne faut plus raisonner en termes de “marchés nationaux”, mais de secteurs d’avenir.
Les industries de défense conservent du potentiel, même si la hausse passée a été spectaculaire. Les valeurs liées à la transition énergétique restent prometteuses. Le numérique, malgré les valorisations élevées, demeure un champ d’opportunités, à condition de sélectionner les acteurs réellement rentables.
Les États-Unis sont devenus très chers : le PER du Nasdaq dépasse 34, celui du S&P 500 plus de 30. Cela ne veut pas dire qu’il faut les fuir, mais qu’il faut être patient et attendre une correction.
Quant à la Chine, son marché est étroitement piloté par les autorités. Les récentes hausses boursières y ont été alimentées par les banques publiques. C’est un marché où la volonté politique prime sur les fondamentaux économiques : risqué, donc.
En résumé, mieux vaut adopter une approche sélective et prudente, centrée sur les secteurs porteurs plutôt que sur les zones géographiques.
La Synthèse de Vincent
Les perspectives de croissance en France restent extrêmement faibles. L’hypothèse la plus réaliste est celle d’une croissance zéro sur plusieurs années.
Le pays doit réduire son déficit primaire de plus de quatre points de PIB, ce qui suppose une politique budgétaire restrictive. Deux leviers permettraient théoriquement de relancer l’activité : une baisse du taux d’épargne des ménages ou un rebond de l’investissement.
Mais dans les faits, ces deux moteurs sont à l’arrêt. Le taux d’épargne reste à un niveau record et rien ne laisse penser qu’il diminuera tant que les ménages craignent une hausse de la fiscalité. Quant à l’investissement, il recule depuis plusieurs trimestres et ne sera pas stimulé par les politiques actuelles de rigueur.
À cela s’ajoute une politique monétaire européenne légèrement restrictive : certes, la BCE abaisse ses taux, mais la réduction de son bilan maintient une pression haussière sur les taux longs. Or, avec une inflation plus faible et une croissance plus molle que la moyenne de la zone euro, la France subit d’autant plus cette contrainte.
En toile de fond, un autre mal persiste : l’absence de vision économique. Le débat politique domine, mais aucun projet de long terme n’apparaît pour développer la croissance ou investir dans les secteurs d’avenir.
Sur le plan patrimonial, le constat est tout aussi clair. L’immobilier reste fragile : les taux des crédits à 20 ans (3,2 %) ne peuvent durablement rester inférieurs à ceux de la dette de l’État (4,1 %). Leur remontée freinera les transactions et pèsera sur les prix.
Du côté des actions, les grandes entreprises françaises, pourtant mondialisées, souffrent de leur pavillon tricolore. Le CAC 40 restera pénalisé par ce biais géographique, et par un environnement fiscal incertain.
Enfin, sur les marchés internationaux, la prudence demeure. Les États-Unis sont jugés trop chers, la Chine trop contrôlée, et les marchés européens trop inertes. La seule stratégie viable reste celle du stock picking, ciblant les secteurs porteurs plutôt que les zones géographiques.
Que va-t-il se passer sur les marchés ?
Les valeurs de qualité qui constituent les Sélections Elite sont toujours délaissées. Nous continuons à y voir une opportunité, car le marché peut raconter ce qu’il veut, in fine la qualité finit toujours par payer.