Bourse : de l’essence dans le moteur

Bourse : de l'essence dans le moteur - Synapses

Fin du resserrement monétaire, taux abaissés à 3,75-4 % et liquidité relancée. Wall Street s’enflamme, Nvidia dépasse les 5 000 Mds $, symbole d’un marché porté par un QE déguisé. Le “window dressing” amplifie la hausse, mais la question reste ouverte : jusqu’où la FED pourra-t-elle soutenir la Bourse sans réveiller l’inflation ?

« Earnings don’t move the overall market; it’s the Federal Reserve Board … focus on the central banks and focus on the movement of liquidity … most people in the market are looking for earnings and conventional measures. It’s liquidity that moves markets. » 

« Les bénéfices ne font pas bouger le marché dans son ensemble ; c’est la Réserve fédérale qui le fait… concentrez-vous sur les banques centrales et sur les mouvements de liquidité. La plupart des acteurs de marché se focalisent sur les résultats et les indicateurs classiques. Mais c’est la liquidité qui fait bouger les marchés. » 

Stanley Druckenmiller

La FED plie le genou

La semaine passée je suis revenu à plusieurs reprises soit au travers de cette newsletter soit lors de mon interview de Jacques Lemoisson (Dette U.S. : failles de sécurité) sur les risques qui existent autour de la liquidité du système financier, et particulièrement du système financier américain, l’alpha et l’oméga de la finance mondiale.

La Réserve Fédérale des Etats-Unis a donc décidé en plus de baisser ses taux directeurs à 3,75%/4 % de suspendre son Quantitative Tightening (QT), c’est-à-dire mettre fin à la réduction de la taille de son bilan à compter du 1er décembre.

Nous avons dans ces pages alerté sur la nécessité pour la FED de le faire, car des tensions toujours plus accrues se faisaient jour. Dans un édifice avec autant de fragilités cachées que le système financier américain, toute rétraction de la liquidité (quand bien même elle serait justifiée) met en péril un certain nombre d’acteurs. La peinture craquèle et les lézardes apparaissent.

Ceux d’entre vous qui me lisent régulièrement connaissent ma thèse :  la FED est toujours gênée par le risque inflationniste qu’elle perçoit mais appréhende difficilement. Le fait que Jerome Powell ait précisé qu’une nouvelle réduction des taux soit loin d’être acquise en décembre me conforte dans ma vision des choses. Le marché, qui est un glouton, a paru un peu déçu que le plat de résistance (fin du QT) ne soit pas accompagné d’une petite douceur (porte ouverte à une prochaine baisse des taux).

Un soutien aux actions U.S.

Durant notre échange Jacques a estimé que l’absence de QT s’apparentait de facto à un QE – ce que je nomme un QE passif. 

Je partage à 100 % son opinion. Dans ces conditions, dans les semaines à venir les investisseurs devraient savourer ce soutien monétaire et continuer à faire la part belle aux  actions américaines et particulièrement à celles qui ont le plus monté. 

La période du window dressing milite également pour que les choses aillent dans ce sens. Le window dressing, littéralement “habillage de vitrine”, est une pratique utilisée par beaucoup de gérants de fonds ou institutions financières pour embellir artificiellement l’apparence de leurs portefeuilles à une date donnée – généralement juste avant la fin d’un trimestre ou d’une année. Pour donner une meilleure image de leur gestion, ils vendent les actions qui ont mal performé (et font tache dans la vitrine), achètent ou renforcent celles qui ont bien marché (les belles actions du moment).

Le portefeuille semble plus en phase avec ce qui a marché, alors qu’en réalité, cet habillage ne reflète pas la stratégie réelle suivie pendant la période. 

Dans ces conditions, ce qui est cher présente de fortes probabilités de devenir encore plus cher.

D’ailleurs, hier, mercredi 29 octobre, Nvidia a dépassé les 5 000 milliards de dollars de capitalisation boursière. Une telle valorisation propulse virtuellement  le champion des puces pour l’IA au rang de troisième économie mondiale (sic), juste derrière les États-Unis et la Chine, et devant l’Allemagne (4 600 Mds$) et la France (3 100 Mds$). Pour mémoire, ASML, aujourd’hui première capitalisation européenne, pèse environ 420 milliards de dollars (pas la peine de rouspéter, je sais qu’il existe des euros, les montants sont libellés en dollars à des fins de comparaison).

Dans le portefeuille Synapses, nous avons légèrement accru la part des actions américaines pour la porter à près de 9 %, le tout réparti en 5 lignes. Un peu las de la pesanteur du titre et de son manque de momentum, nous avons cédé Boston Scientific (BSX) avec une légère plus-value à la clef et nous avons renforcé notre ligne de Netflix. La déconvenue provoquée par la charge fiscale brésilienne ne nous paraît pas de nature à remettre en question le cas d’investissement. 

J’ai quelques cibles en tête afin de renforcer l’exposition aux actions U.S. Par discipline, j’attends de légers replis pour ce faire. Toutefois, en toute franchise, compte tenu de ce que j’ai dit plus haut (fin du QT, window dressing), je ne suis pas certain que l’opportunité se présente de la manière dont je le souhaiterais. 

Je n’arrive cependant pas à me résoudre, au vu de leurs niveaux de valorisation actuels, à acheter en toute sérénité certaines des actions U.S. que je cible. En attendant qu’une occasion se présente de refaire des emplettes outre-Atlantique pour le portefeuille Synapses, je me contente de garder le doigt sur la gâchette… au risque d’avoir des crampes.

La Chine, une puissance, une évidence

J’ai mentionné Jacques Lemoisson plus haut. Vous aurez l’occasion de l’entendre à nouveau sur Synapses au cours d’une deuxième interview que nous avons réalisée ensemble sur la rivalité USA/Chine et ce qu’il fallait en conclure en matière d’investissement.

Je ne déflorerai pas ici le contenu de cette longue discussion (je veux évidemment vous inciter à regarder l’émission), une discussion que j’ai trouvée particulièrement riche et passionnante. Le regard de Jacques sur ce sujet qu’il connaît excellemment mérite que l’on prête attention à ses arguments. Je vous recommande chaudement de regarder cet entretien lorsqu’il paraîtra (il vous faudra cependant attendre encore 10 jours car j’aurais plaisir d’interviewer Vincent Mortier, le patron des gestions d’Amundi entre-temps, et cet entretien s’intercalera entre les deux émissions avec Jacques).

Quoi qu’il en soit, sachez, que la Chine nous fait de l’œil depuis un moment et que si nous ne nous sommes pas exposés aux actions de l’Empire du Milieu plus tôt, ce n’était pas par réticence, mais en raison de l’absence d’ETF officiellement accessibles. 

Bien sûr, il existe des ETF pour jouer les actions chinoises, mais nous avons constaté avec effroi que notre plateforme, bien que référençant ceux que nous désirions, nous en refusait la vente au motif que leur documentation commerciale n’était pas à jour – notez que la question de la mise à jour de la documentation n’est pas spécifique aux ETF répliquant les indices chinois, mais touche toutes sortes d’actifs normalement investissables via des ETF. 

Après plusieurs tentatives infructueuses, nous sommes parvenus à rentrer du KWEB, autrement dit du KraneShares CSI China Internet ETF. La position est encore mineure (0,47 % du portefeuille Synapses). Par ailleurs, ce n’était peut-être pas le moment le plus approprié pour le faire, mais comme il s’agit de l’amorce d’une position structurelle, le timing importe moins.

La technologie chinoise démontre mois après mois, semaine après semaine, qu’elle rivalise avec son homologue américaine. Et ce n’est que le début selon nous. Nous n’enterrons pas pour autant la tech U.S. mais dans une allocation ne pas avoir l’une aux dépens de l’autre n’a aucun sens selon nous. Il faut les deux. 

Quant à la technologie, de quelque nationalité qu’elle soit, elle est incontournable (cf. la deuxième partie de cette Newsletter que vous recevrez demain, car il s’agit d’un dossier assez complet).

Quoi qu’il en soit, certains soutiennent que la Chine n’est pas investissable en raison du caractère autoritaire de son régime. C’est un risque, à n’en pas douter. Toutefois, l’arbitraire se diffuse et s’étend. Il n’est plus l’apanage des dictatures. Nous évoluons dans un monde où la puissance prime plus que jamais la règle, et où la règle est malléable à l’excès afin d’en faire un instrument de puissance. Je n’aime pas le monde qui est. Je redoute le monde qui vient. Mais comme chacun d’entre nous, je fais avec. Et si la puissance prévaut, alors elle architecturera aussi l’allocation d’actifs. Mon raisonnement est peut-être simpliste, en tout cas il m’impose de tenir compte de la réalité. 

Bien évidemment, je ne peux prétendre deviner les oukases et anathèmes du Parti communiste chinois (PCC), et la foudre peut tomber sans prévenir comme on l’a vu en novembre 2020 lors de la remise au pas brutale de Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, et des autres grands patrons de la tech chinoise. En revanche, je sais que la survie du régime dépend du redressement de l’économie chinoise et d’un rééquilibrage de celle-ci au profit de la consommation et donc d’une augmentation des revenus. Le PCC a compris à quel point la bourse pouvait créer un effet richesse qui se diffusera dans toute l’économie. Cette révolution copernicienne justifie, selon moi, du simple point de vue de l’allocation d’actifs d’accorder une place à la Chine. 

L’adepte du stock-picking que je suis s’est cependant résigné à recourir à un ETF. L’accès au marché chinois n’est pas simple. Je compte investiguer davantage et si je trouve des entreprises cotées à Hong Kong qui pourraient constituer des opportunités, je les partagerai avec nos abonnés des offres LIVE+ (Sélections ELITE), America First, Top Picks et Actions Décisions. 

👉 Pour ceux qui ne sont pas encore adhérents à nos offres, vous pouvez les retrouver ici.

Nous n’en sommes pas encore là. Et il y a pour un stock-picker beaucoup à faire sur le marché européen. D’autant que les valeurs de qualité sont toujours boudées par des investisseurs qui demeurent focalisés sur quelques types de sociétés et de thématiques.

Des bulles aussi en Europe

Notre compère Pierre-Yves (Gauthier) y a fait allusion lors de notre dernier Live (Replay de la Séquence Stratégie à voir sur YouTube). 

L’univers d’AlphaValue comprend les 551  plus grandes valeurs européennes, représentant environ 14 000 milliards d’euros de capitalisation boursière (€14Trn market cap).

Les 25 meilleures performeuses parmi les valeurs européennes ont contribué à elles seules à 124 % de la hausse de la capitalisation boursière cumulée en 2025. Cela signifie que toutes les autres (526 titres) ont eu une contribution neutre ou négative.

Les 5 plus fortes hausses pèsent seulement 5 % des bénéfices de l’univers, mais 42 % de la performance totale du marché.

Autrement dit : la progression du marché européen n’est pas généralisée, elle repose quasiment uniquement sur un petit noyau de financières et de gagnants IA et technologiques.

En bref, le marché européen semble aller bien sur le papier, mais :

🔸 sa croissance boursière repose sur moins de 5 % de ses titres,
🔸 la majorité des autres secteurs stagnent

Je ne vous sortirai pas derechef mon analogie entre “le tout pour IA” actuel et “le tout pour Internet” de 1999/2000. Ce que je constate est que l’obsession des investisseurs pour quelques valeurs ouvre des opportunités et notamment sur les valeurs de qualité. Des opportunités dont je pense qu’elles rétribueront ceux qui savent endurer et patienter.

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