Bourse U.S. : 3 raisons de craindre une correction

Patrick Artus, conseiller économique auprès d’Ossiam, analyse les perspectives des marchés américains. Entre stagflation, valorisations excessives et incertitudes politiques, il estime qu’une correction de la Bourse U.S. est probable.

BOURSE U.S. : Trois raisons d’anticiper une correction

Vincent Bezault : Vous n’êtes pas vraiment optimiste à l’égard des marchés américains. Vous considérez qu’ils vont subir une correction importante. Pour quelles raisons ?

Patrick Artus : Essentiellement pour trois raisons. La première, c’est que l’économie américaine évolue comme les économistes sérieux l’anticipaient. Le mélange des droits de douane — à condition qu’ils soient maintenus, ce qui reste incertain —, des politiques hostiles à l’immigration — avec 1,4 million d’immigrés de moins depuis janvier — et des politiques hostiles à la recherche et aux universités entraîne une poussée d’inflation.
L’inflation sous-jacente est passée à 3,1 % en juillet contre 2,8 % deux mois plus tôt, et elle pourrait grimper vers 3,5 % d’ici la fin de l’année. En parallèle, la croissance est faible : environ 1 % sur l’ensemble du premier semestre. Toutes les composantes de la demande sont en retrait : consommation des ménages, investissements, exportations, et surtout investissements en logements, très faibles.
De plus, contrairement aux espoirs de l’administration Trump, on observe un recul des investissements directs étrangers. Ils baissent d’environ 30 % au premier semestre par rapport à 2024, malgré des annonces officielles d’investissements de plusieurs milliards. C’est une situation de quasi-stagflation : croissance faible et inflation élevée.

Vincent Bezault : Les annonces d’investissements ne traduisent donc pas la réalité ?

Patrick Artus : Non. Les chiffres montrent clairement ce recul d’environ 30 % des investissements directs étrangers aux États-Unis sur un an, au premier semestre.

BOURSE U.S. : Valorisation élevée et pari sur l’IA

Vincent Bezault : Pourtant, les bénéfices des entreprises ont été excellents récemment.

Patrick Artus : Oui. Les bénéfices par action ont augmenté de 12 % sur le S&P 500 et de plus de 20 % sur le Nasdaq 100 au deuxième trimestre. Mais ce rythme ne pourra pas durer.

Deuxième élément : le niveau de valorisation. Le PER du Nasdaq est de 34, celui du S&P 500 de 29. Ces niveaux supposent une croissance continue des résultats, ce qui paraît très improbable compte tenu du ralentissement de l’économie.
Troisième point : les effets attendus de l’intelligence artificielle. Les cinq grandes entreprises du secteur investissent 420 milliards de dollars cette année. Mais les revenus tirés de l’IA sont très faibles, car une partie est en open source et les acteurs sont en concurrence. Tous les modèles ne réussiront pas.
En combinant la mauvaise situation macroéconomique, les incertitudes sur la rentabilité de l’IA et un marché déjà très cher, le plus probable reste une correction.

L’enjeu des droits de douane

Vincent Bezault : Quel pourrait être le déclencheur de cette correction ?

Patrick Artus : Peut-être un événement institutionnel, comme la non-validation par la Cour suprême des droits de douane décidés par Trump. Ou une succession de mauvais chiffres sur la croissance et l’emploi.

Vincent Bezault : Une cour d’appel fédérale a déjà jugé ces droits de douane illégaux, estimant que le président avait outrepassé ses pouvoirs, cette décision relevant du Congrès. C’est un enjeu majeur, d’abord pour les marchés obligataires, ensuite pour les actions.

Patrick Artus : Exactement. Pour les investisseurs, les droits de douane représentent une recette budgétaire. Certains évoquent 350 milliards de dollars par an, mais les centres de recherche estiment plutôt 220 à 230 milliards, soit 0,7 % du PIB.
Si cette manne disparaît ou est suspendue, les conséquences seront fortes. D’une part, le déficit public augmenterait, compliquant le financement et poussant les taux longs à la hausse. D’autre part, les entreprises américaines perdraient l’avantage de pouvoir relever leurs prix intérieurs grâce aux droits de douane, ce qui avait accru leurs marges. On verrait donc des mauvaises nouvelles sur les bénéfices par action dès le troisième trimestre.

Fed : une crédibilité menacée ?

Vincent Bezault : Parlons de la Réserve fédérale. Elle est scrutée sur sa politique monétaire. Si elle baisse ses taux face à des créations d’emplois limitées, ne commetterait-elle pas une erreur ?

Patrick Artus : Si l’on a 30 000 à 40 000 créations de postes, cela peut paraître faible. Mais il faut tenir compte des expulsions d’immigrés. En extrapolant les chiffres du premier semestre, environ 120 000 emplois par mois sont détruits par ces expulsions. Autrement dit, 30 000 créations suffisent désormais à stabiliser le taux de chômage.
Le chômage reste à 4,2 % et ne montera pas. Les salaires progressent de près de 4 % par an, alors que les gains de productivité diminuent : cela accroît fortement les coûts salariaux unitaires.
Dans ces conditions, tant que Jerome Powell reste président, il y a peu de marge pour baisser les taux. Peut-être 25 points de base, mais certainement pas trois baisses comme le marché l’espère.

Trump et la Fed : un risque politique

Vincent Bezault : Vous évoquez aussi le risque d’une politisation de la Fed.

Patrick Artus : Oui, c’est la deuxième menace. Donald Trump tente de placer ses alliés au sein du FOMC. Il a déjà nommé Stephen Miran, inspirateur de la politique de droits de douane et partisan d’une remise en cause du rôle du dollar comme monnaie de réserve. Lisa Cook pourrait être poussée vers la sortie, et d’autres nominations suivraient.
Cela ouvrirait la voie à une politique de baisse agressive des taux et au retour du quantitative easing, surtout si les droits de douane disparaissaient et creusaient le déficit. Ce serait catastrophique pour la crédibilité de la Fed, alors même que l’inflation resterait proche de 3 à 3,5 %.

Une stratégie budgétaire risquée

Vincent Bezault : Vous pointez aussi du doigt la stratégie de financement du Trésor américain.

Patrick Artus : En effet. Depuis l’administration Biden, le Trésor se finance à 90 % via des émissions de T-bills, donc à court terme. Contrairement à l’Europe, il n’émet quasiment pas de dette à long terme.
À court terme, cela réduit la charge d’intérêts, mais cela prive la Fed de la possibilité de relever fortement ses taux si l’inflation repart. Car sinon, la charge d’intérêts exploserait immédiatement. C’est un verrou dangereux pour la politique monétaire.

Des perspectives incertaines pour les actions américaines

Vincent Bezault : Finalement, si la Fed cède à ces pressions et engage un cycle de baisse des taux, cela constituerait une erreur ?

Patrick Artus : Exactement. Si la Fed engage une politique de forte baisse des taux, ce serait une grave erreur économique et politique. À l’inverse, si elle reste ferme face à l’inflation, le marché pourrait être déçu, car il anticipe un retour des taux à 3 % fin 2026.
Dans tous les cas, la combinaison des incertitudes sur les droits de douane, sur la crédibilité de la Fed et sur la stratégie budgétaire du Trésor rend les marchés américains extrêmement vulnérables.

Vincent Bezault : En clair, pour vous, il faut éviter les actions américaines ?

Patrick Artus : Oui. Elles sont trop chères, la macroéconomie est défavorable, les incertitudes nombreuses et les risques budgétaires et inflationnistes élevés. Investir aujourd’hui dans les actions américaines est très dangereux, malgré les performances récentes du marché. 

Retrouvez l’intégralité de cet entretien en cliquant sur la vidéo ci-dessus

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